D’après une nouvelle étude réalisée par l’Insee et l’Atelier parisien d’urbanisme (Apur), la part des résidences secondaires à Paris est passée de 2% à 9% du parc de logements au cours des cinquante dernières années.
Dressé à partir du Fichier démographique d’origine fiscale sur les logements et les personnes (Fideli) de l’Insee, ce portrait des propriétaires de résidences secondaires de la capitale précise que “la tendance à la hausse s’est amplifiée depuis 2012, en lien notamment avec le développement de la location meublée touristique”.
En 2017, près de 126 000 logements parisiens (9% du parc total) étaient considérés comme des résidences secondaires, soit des “locaux meublés affectés à l’habitation, non occupés en permanence et soumis à la taxe d’habitation”. Un taux plus de deux fois supérieurs à celui observé ailleurs en l’Île-de-France (4%), et le triple de celui de Bordeaux (3,5%) et Montpellier (3,2%). Parmi les villes françaises de plus de 200 000 habitants, seule Nice (11%) affiche un taux supérieur. L’étude de l’Apur porte sur 80 500 logements (64% du total des résidences secondaires parisiennes), qui sont “occupés exclusivement par leurs propriétaires” et ainsi “n’alimentent pas le marché de logements disponibles”, les 45 5000 autres étant loués ou prêtés une partie de l’année.
Le portrait du propriétaire de résidence secondaire parisienne est généralement celui d’un certain privilège : 40% d’entre eux disposent de revenus d’au moins 6 700 € par mois, contre 28% pour la moyenne des propriétaires “d’un seul” bien parisien. En 2017, 64% des propriétaires de résidences secondaires à Paris avaient 60 ans ou plus, un taux qui tombe à 45% pour les mono-propriétaires. Par ailleurs, “les propriétaires de résidences secondaires dans la capitale sont aussi à plus de 86 % propriétaires de leur résidence principale. Pour plus de la moitié (55 %) d’entre eux, la résidence principale est une maison”.
Où vivent-ils principalement ? D’après l’étude de l’Apur et de l’Insee, “quatre résidences secondaires sur dix (42,5%) appartiennent à des Franciliens”. Nombre d’entre eux ont même leur résidence principale à Paris. Viennent ensuite les multi-propriétaires établis dans une autre région française (38%), puis celles et ceux installés dans un autre pays (19,5%), qui sont d’ailleurs souvent des Françaises et Français.
Le parc de logements des arrondissements les plus touristiques – qui figurent aussi parmi les quartiers les plus aisés – souffre particulièrement de l’omniprésence des résidences secondaires. Dans les quartiers centraux, comme le Marais, elles représentent presque un logement sur cinq. Si les taux apparaissent plus faibles dans les arrondissements “à deux chiffres”, le volume réel de logements concernés reste cependant très important, car ils sont de loin les plus peuplés. Ainsi, les 11ème, 17ème et 18ème arrondissements comptent chacun entre 7 000 et 9 000 résidences secondaires.
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L’étude relève que “les écarts de superficie entre les résidences secondaires et l’ensemble des logements sont d’autant plus prononcés que les arrondissements sont mixtes socialement ou modestes” : c’est par exemple le cas dans les 10ème, 19ème et 20ème arrondissements. “Les résidences secondaires y sont nettement plus petites que l’ensemble des logements” ; ce sont autant d’appartements qui auraient pu bénéficier à des ménages modestes ou à des étudiants, tandis qu’en parallèle la demande de logements sociaux ou étudiants ne faiblit pas.
L’Apur rappelle que l’essor des plateformes de location touristique dans les années 2010 (Airbnb, Abritel ou HomeAway) a fortement réduit le volume de logements disponibles pour les Parisiennes et les Parisiens. L’étude confirme que “les arrondissements qui regroupent le plus de résidences secondaires sont aussi ceux où l’offre de locations meublées touristiques est la plus forte dans la capitale”. L’an dernier, la mairie estimait à 20 000 le nombre de multi-propriétaires utilisant la plateforme à Paris.
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Alors que la capitale a perdu des dizaines de milliers d’habitants ces dernières années, difficile de ne pas établir un lien entre cet exode et la hausse continue de la part des résidences secondaires. L’accaparement et la concentration du parc immobilier au détriment de la vaste majorité des Parisiennes et des Parisiens sont d’autant plus discutables que la question du logement reste très préoccupante à l’échelle locale et régionale. Hausse des inégalités, persistance du mal logement, passage à plus d’un quart d’appartements surpeuplés : les difficultés s’accumulent pour les catégories populaires et affectent désormais largement les classes moyennes. Alors que le nombre de personnes à la rue ou sans domicile atteint par ailleurs des records, il est insupportable de constater que tant de logements parisiens restent inutilisés ou sous-utilisés.
Consciente que les appétits immobiliers des multi-propriétaires restreignent fortement les opportunités de logement des Parisiennes et des Parisiens, la mairie souhaite aujourd’hui augmenter la taxation des résidences secondaires – depuis 2018, elles sont concernées par une surtaxe plafonnée à 60%. Voyant les équilibres de son budget fragilisés par la crise sanitaire, économique et touristique, la ville de Paris verrait également dans cette mesure une manne financière bienvenue.
Lors de la première journée de la séance du conseil de Paris de novembre, la majorité a ainsi voté un vœu proposé par les élus PCF pour “soutenir et porter les évolutions fiscales visant à augmenter la taxe d’habitation sur les résidences secondaires, la taxe de séjour sur les meublés touristiques ou la taxe sur les logements vacants”. Une surtaxe d’habitation de 100% est notamment envisagée par Paul Simondon, adjoint (PS) à la maire de Paris chargé des finances et du budget.
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Pour Jacques Baudrier, conseiller de Paris du 20ème arrondissement et adjoint (PCF) à la maire en charge notamment de la construction publique, il s’agit de “libérer des milliers de logements”. Dans la capitale la plus dense d’Europe, où les parcelles disponibles se font rares, la création de nouveaux appartements rencontre certaines limites. En décourageant fiscalement le développement ou la conservation de résidences secondaires, la majorité espère que des logements viendront réalimenter un parc locatif toujours en tension. L’objectif est d’augmenter le taux d’appartements parisiens réellement “occupés toute l’année par des ménages dont c’est la résidence principale” : d’après le dernier rapport de l’Apur, il est de 80% à Paris, contre 85% en Île-de-France.
Si elle est bien entendu souhaitable pour permettre à plus de Parisiennes et de Parisiens de se loger dans des conditions correctes, une hausse de la surtaxe d’habitation ne devrait pas effrayer pour autant tous les propriétaires de résidences secondaires, cette nouvelle dépense ne représentant pour les plus fortunés pas un grand sacrifice. Alors que la crise sanitaire s’accompagne déjà d’une crise économique et sociale majeure, il est essentiel de multiplier les leviers pour faciliter l’accès au logement.
Comment répondre notamment au scandale des appartements vacants, qui représentent aujourd’hui 11% du parc parisien ? Ce volume est encore plus important que celui des résidences secondaires (9%). Autre piste : alors que le télétravail se généralise dans certaines professions, pourquoi ne pas envisager la conversion d’immeubles de bureaux ? Cela pourrait être particulièrement bénéfique dans les quartiers où leur concentration est la plus forte, limitant la mono-activité et permettant un meilleur équilibre entre quartiers résidentiels et zones d’activité. En France comme à Paris, ce n’est pas la place qui manquerait si l’on se donnait les moyens de garantir un toit à celles et ceux qui n’en ont pas.
De telles ambitions réclameraient bien entendu un effort gouvernemental conséquent. Difficile d’espérer une telle vision pour le logement de la part de l’exécutif actuel, qui n’a cessé de laisser les inégalités de revenus et de patrimoine se creuser au sein de la société française. Cette regrettable année 2020 n’aura pas dérogé à la règle. Pendant que les plus aisés étoffent leur épargne, passant d’une résidence à l’autre entre deux confinements, les files d’attente continuent de se prolonger devant les associations d’aide alimentaire, où les ménages les plus modestes sont rejoints par un nombre croissant d’étudiants et de travailleurs précaires. La France compte aujourd’hui près de 10 millions de pauvres : si l’on souhaite renverser durablement la tendance, faciliter l’accès à un logement décent et abordable doit plus que jamais figurer en tête des priorités politiques.
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Photographe d’illustration : Rue Ernest Lacoste – Paris 12°
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