Législative partielle dans le 20ème : un dénouement imprévisible pour conclure une campagne atypique

Après une campagne considérablement rallongée en raison de la crise sanitaire, les électrices et les électeurs de la quinzième circonscription de Paris (20ème arrondissement) sont appelés aux urnes ce dimanche, avant un second tour le 6 juin prochain.

Elle n’a pas forcément fait la une des journaux télévisés, mais la législative partielle qui permettra de désigner celle ou celui qui remplacera George Pau-Langevin à l’Assemblée nationale rendra bientôt son verdict. Difficile ces derniers mois d’ignorer les signes avant-coureurs d’une élection en parcourant les rues du 20ème arrondissement. Des portraits de candidat(e)s s’affichent sur les murs des grands axes. Leurs bulletins viennent d’arriver dans les boîtes aux lettres. Tout juste rejoints par ceux des régionales, les panneaux électoraux qui s’alignent devant les écoles et bureaux de vote ont été mis à jour avec les dates correctes de l’élection – d’abord fixée au 4 et 11 avril, elle avait été repoussée quelques jours avant cette première échéance. Mais c’est surtout l’agitation visible sur les marchés et placettes de l’arrondissement qui ne laisse aucun doute : que l’on réside à Belgrand, Pyrénées, Télégraphe ou la Réunion, on avait ces temps-ci de fortes chances de croiser les équipes en campagne, venues distribuer les programmes de leurs candidats et tenter de convaincre les indécis dans cette dernière ligne droite.

Trois semaines avant le scrutin régional – et un an avant l’élection présidentielle – cette législative partielle apparaît particulière à bien des égards. Les formations politiques engagées ne s’y sont d’ailleurs pas trompées, en multipliant l’envoi de représentants sur le terrain : depuis près de quatre mois, le 20ème accueille un véritable défilé de parlementaires, députés nationaux et européens, maires et autres élus locaux, conseillers de Paris, candidates et candidats à la région, voire à la présidence de la République. Particulière, cette élection l’est aussi par ses circonstances : de mémoire contemporaine, aucune élection de portée nationale ne s’était déroulée en période de pandémie, limitant naturellement les possibilités de tractage et de porte-à-porte, et jusqu’à récemment, la possibilité même d’organiser un meeting politique. Malgré l’importance accordée à ce scrutin par les partis en course, son report de dernière minute, et la place médiatique occupée en parallèle par le match des régionales, n’auront guère contribué à sa mise en lumière.

Regroupant la majorité du 20ème arrondissement, la quinzième circonscription de Paris est aussi une terre électorale atypique : c’est l’une des plus à gauche de la capitale. George Pau-Langevin fut la seule candidate socialiste à l’emporter localement lors des législatives de 2017, qui virent la majorité présidentielle s’imposer dans douze des dix-huit circonscriptions parisiennes. Ce dimanche, six des huit candidats présents sur les bulletins de vote sont soutenus par des formations de gauche. Paramètre étonnant, et dont il faudra de toute évidence tenir compte, les deux partis qui occupent aujourd’hui majoritairement la scène médiatique et sondagière n’auront aucun représentant dans le cadre de cette législative partielle.

Dans une élection considérée comme ouverte, jugeant les chances du candidat de droite de l’emporter au second tour limitées, les grandes formations de gauche n’ont pas fait le choix du rassemblement et se laisseront départager par le vote des électrices et les électeurs. Une abstention importante, redoutée par l’ensemble des équipes en campagne, pourrait ajouter une nouvelle note d’incertitude à l’ensemble. Ce premier scrutin depuis les municipales de 2020 offre cependant le bénéfice des urnes sur celui des sondages, et à la veille des échéances politiques que l’on sait, revêt presque des airs de primaire à gauche.

Trois autres législatives partielles sont organisées ce dimanche à travers la France (Indre-et-Loire, Oise, Pas-de-Calais), mais au vu de l’intense mobilisation des candidats et du cortège de personnalités venues les soutenir dans les rues du 20ème ces dernières semaines, on peut affirmer que l’élection parisienne sera scrutée de près dans les sièges de partis. De fait, elle inaugure une saison politique intense qui verra également la région désigner sa ou son futur(e) président(e) – les trois principales listes de gauche en Île-de-France semblant encore faire jeu égal, loin derrière la sortante Valérie Pécresse – puis le démarrage d’une campagne présidentielle encore très incertaine pour le camp des progressistes. Inattendue jusqu’en novembre dernier, cette législative partielle ne devrait pas manquer d’attirer avec un peu d’avance les projecteurs politiques à l’annonce de ses résultats, qui seront à n’en pas douter riches en enseignements.

Dans une circonscription détenue par les socialistes depuis 1997 (bien qu’elle ait légèrement changé de limites en 2012), le candidat LR François-Marie Didier apparaît comme le principal bénéficiaire des circonstances électorales. L’absence de représentant de la majorité présidentielle LREM-MoDem, motivée par la faiblesse militante locale de ces partis, lui permet de se revendiquer « candidat de la droite et du centre », tandis que l’absence de concurrence plus conservatrice sérieuse devrait lui permettre de solidifier sa base électorale. Élu au conseil de Paris l’an dernier et figurant parmi les nouveaux visage de l’opposition parisienne, ce cadre proche de Rachida Dati espère dépasser sa performance des municipales de 2020. Sa liste « Changer Paris » avait terminé en deuxième position avec 13,9% des suffrages au premier tour, et 21,4% au second. Notons par ailleurs que la quinzième circonscription électorale de Paris ne correspond pas entièrement aux frontières du 20ème arrondissement. En l’occurrence, son territoire est amputé de plusieurs quartiers populaires, traditionnellement plus enclins à voter en faveur de candidats de gauche : le Bas-Belleville, Ménilmontant, et les abords de la porte de Vincennes. François-Marie Didier espère enfin bénéficier de la dynamique de la présidente de la région Valérie Pécresse, venue le soutenir sur les marchés.

Si les visiteurs politiques se sont bousculés dans l’arrondissement depuis le début de l’année, l’un d’entre eux a reçu un accueil particulièrement remarqué. Présent vendredi 21 mai pour prêter main-forte à l’insoumise Danielle Simonnet, Jean-Luc Mélenchon est parti à la rencontre des (nombreux) commerçants de la rue d’Avron en enchaînant les séances de photos, avant de monter à la tribune sur les pelouses du quartier de Python-Duvernois pour s’adresser à ses habitants et les inviter à « mettre un coup de pied au derrière » à l’exécutif en élisant sa candidate. Seule opposante de gauche à la majorité d’Anne Hidalgo au conseil de Paris, l’élue du 20ème a mis en avant son implication locale pour donner la parole aux victimes de l’insalubrité. En désignant le logement comme sa priorité, avec des initiatives et des vidéos de soutien aux locataires en difficulté, Danielle Simonnet a fait le choix d’une campagne de terrain s’adressant en premier lieu aux foyers les plus modestes. Comme nous commençons à le voir, chaque candidate et candidat en lice a dans le rétroviseur certaines performances électorales passées. C’est le résultat des présidentielles de 2017 que gardent en mémoire les représentants de la France insoumise : dans le 20ème arrondissement, Jean-Luc Mélenchon avait alors dominé le premier tour en réunissant 31,8% des suffrages. Signe de l’importance accordée à cette élection par son mouvement politique, près de la moitié des députés LFI sont venus soutenir Danielle Simonnet dans la circonscription avec pour mot d’ordre « une dix-huitième députée insoumise à l’Assemblée ! »

Du côté des socialistes, c’est la conseillère de Paris Lamia El Aaraje qui a endossé la (lourde) responsabilité de conserver le siège de George Pau-Langevin. Sur les marchés et à la sortie des bouches de métro, elle a notamment pu compter sur les effectifs parisiens conséquents de sa formation, la réélection d’Anne Hidalgo ayant permis au PS de maintenir son implantation locale. Après plus d’un an de crise sanitaire, cette autre élue du 20ème a également eu l’occasion d’inaugurer le retour des meetings politiques « traditionnels » avec des retrouvailles à la Bellevilloise, remplie comme requis au tiers de sa capacité ce mercredi 26 mai dernier. Après des interventions de son suppléant, le maire de l’arrondissement Éric Pliez, de la candidate à la région Audrey Pulvar, puis en visio-conférence de la maire de Paris et de l’ancien Premier ministre Lionel Jospin (également venu la soutenir sur les marchés), Lamia El Aaraje a affirmé sa combativité intacte « après 21 semaines de campagne », durant lesquelles elle a fait de la justice sociale et de l’accès aux services publics ses priorités. La belle performance des listes Paris en Commun aux dernières municipales n’est pas un lointain souvenir pour ses partisans : dans le 20ème, celle conduite par Éric Pliez avait obtenu 38,1% au premier tour, et 57% au second – avec certes le renfort du PCF, de Génération·s, puis des Verts. En mettant en avant le soutien d’Anne Hidalgo et du maire du 20ème, la candidate espère renouveler le succès de juin 2020. Un impératif pour celle qui « adore mener des batailles, et surtout adore les gagner ! »

Le Parti communiste peut également considérer le 20ème arrondissement comme l’un de ses bastions. À deux pas de son siège du colonel Fabien, dans le 19ème voisin, la circonscription ne manque pas de références aux figures du passé, des places Henri Krasucki et Henri Malberg aux nombreuses personnalités communistes reposant face au Mur des Fédérés du Père Lachaise. Ayant refusé les alliances proposées de part et d’autre, dans sa ligne présidentielle, le parti centenaire semble compter sur son implantation locale et l’assiduité électorale de ses partisans. Les communistes ont fait le choix du renouvellement avec Thomas Roger, infirmier dans un service de gériatrie. Objectif affiché : ancrer cette candidature dans l’actualité en réaffirmant que la crise sanitaire devrait marquer un tournant en faveur d’investissements dans les services publics de la santé, en opposition aux méthodes et aux incohérences de l’exécutif. En 2017, le PCF avait déjà présenté sa propre candidature dans la circonscription, rassemblant autour de 4,5% des voix. Aux dernières européennes de 2019, la liste communiste menée par l’adjoint à la maire de Paris Ian Brossat avait quant à elle reçu 5,7% des votes dans le 20ème arrondissement. « Représentant du vrai monde du travail », Thomas Roger espère cependant « créer la surprise » ce dimanche.

Les écologistes seront représentés par la conseillère de Paris Antoinette Guhl, candidate en duo avec Nathalie Maquoi, la présidente du groupe Génération·s au conseil de Paris. Un début d’union des gauches pour ces deux élues du 20ème, dont les partisans gardent plutôt en mémoire les élections européennes de 2019. Les listes d’Europe Écologie – Les Verts avaient obtenu 24,8% des votes dans l’arrondissement, auxquels on pourrait ajouter les 6,5% reçus par celles du mouvement fondé par Benoît Hamon. Pour la candidate, qui se réjouissait ce jeudi de l’accueil des Parisiennes et des Parisiens rencontrés sur les terrasses depuis leur réouverture, l’incertitude demeure avant tout liée au taux d’abstention. « Nous avons reçu un grand nombre de demandes de procuration », se félicite-t-elle cependant. Signe d’un intérêt grandissant pour le scrutin à la veille du premier tour ? Les écologistes comptent également sur une montée en puissance de la campagne de Julien Bayou pour les régionales, ce dernier étant l’une des nombreuses personnalités venues soutenir Antoinette Guhl et ses équipes sur le terrain.

Pour terminer cette liste des candidates et candidats engagés ce dimanche, on retrouve enfin Sarah Gardent, combative tête de liste du Parti ouvrier indépendant démocratique (POID), créé par Gérard Schivardi. En mars dernier, le mouvement favorable à l’élection d’une assemble constituante était parvenu à rassembler une petite foule aux abords du Père Lachaise pour commémorer les 150 ans de la Commune de Paris. Une insurrection qui a marqué l’histoire du 20ème, et dont se réclament aujourd’hui les trois quarts des candidats en lice. Pour les électrices et les électeurs inspirés par les idéaux de l’insurrection de 1871, la question se pose en effet : en qui se reconnaîtraient aujourd’hui les partisans de la Commune ? On devrait en tout cas croiser certaines des personnalités candidates au cours des commémorations de la « montée au Mur » de ce samedi.

Deux autres prétendants à l’Assemblée ont déclaré leurs candidatures tardivement, après le report initial de l’élection – nous n’avons donc pas eu l’opportunité de les interroger. Il s’agit tout d’abord de Farid Ghehiouèche, représentant du mouvement libertaire FLUO – Cannabis sans frontières, et porte-parole de « la France qui vit en dehors des statistiques et des sondages ». L’équité journalistique nous oblige également à signaler l’entrée en lice de Jean-Damien de Sinzogan, candidat monarchiste qui n’a visiblement pas hésité à lancer une pétition pour devenir lui-même roi de France (4 signatures à ce jour).

Ajoutons pour finir un dernier détail pour confirmer le caractère atypique de cette élection : celle ou celui qui remportera ce siège à l’Assemblée nationale aura probablement l’occasion de refaire campagne dans moins d’un an, en parallèle de la présidentielle, avec le nécessaire renouvellement de la chambre basse. Confirmation que cette législative a su attirer des profils qui ne craignent pas de se prêter à l’exercice de la campagne politique. Soulignons aussi que les candidates et candidats engagés auront su éviter les attaques personnelles et les polémiques infondées – quatre d’entre eux (François-Marie Didier, Lamia El Aaraje, Antoinette Guhl, et Danielle Simonnet) siègent par ailleurs ensemble au conseil d’arrondissement du 20ème. La campagne (de premier tour) fut digne, et ce constat est suffisamment rare pour être signalé ; l’absence de certaines formations sur la ligne de départ y serait-elle pour quelque chose ? Enfin, reconnaissons les efforts de l’ensemble des candidates et candidats en vue de s’adresser aux quartiers populaires de l’arrondissement, notamment aux abords des portes du 20ème.

En 2017, dans cette même quinzième circonscription de la capitale, quatre candidats dépassèrent les 10% des voix : la candidate socialiste George Pau-Langevin arrivée en tête avec 24,1% des suffrages, suivie par le représentant de la France Insoumise Mehdi Kemoune (18,7%), le candidat Divers droite Philippe Aragon (16,7%), et l’écologiste Antoinette Guhl (10,9%). Au second tour, George Pau-Langevin avait remporté son duel avec le candidat insoumis en rassemblant 60,3% des suffrages.

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À l’approche de cette élection législative partielle des 30 mai et 6 juin, notre rédaction interroge les personnalités candidates dans une série d’entretiens-portraits :

– François-Marie Didier, conseiller de Paris de l’opposition, élu du 20ème, et directeur développement territorial dans une grande entreprise du secteur de l’énergie, candidat avec le soutien des partis LR et Libres.
Suppléante : Dalila Ziane, conseillère d’arrondissement du 20ème.

– Lamia El Aaraje, conseillère de Paris de la majorité, élue du 20ème, et docteure en pharmacie, candidate avec le soutien du Parti socialiste, du Parti radical de gauche, de République et Socialisme.
Suppléant : Éric Pliez, maire du 20ème arrondissement.

– Sarah Gardent, agente de Pôle emploi, candidate avec le soutien du Parti ouvrier indépendant démocratique.
Suppléante : Sylvie Surmont, retraitée.

– Antoinette Guhl, conseillère de Paris de la majorité, élue du 20ème, et directrice d’une structure dédiée au recyclage et au réemploi, candidate avec le soutien des partis EELV et Génération·s.
Suppléante : Nathalie Maquoi, conseillère de Paris, professeure en lycée professionnel.

– Danielle Simonnet, conseillère de Paris de l’opposition, élue du 20ème, et psychologue de l’Éducation nationale, candidate avec le soutien de la France insoumise.
Suppléant : Simon Duquerroir, chargé de projets associatifs.

– Thomas Roger, infirmier en service de gériatrie, candidat avec le soutien du Parti communiste.
Suppléante : Charlotte Laurent, universitaire.

Deux autres candidats, Farid Ghehiouèche (FLUO – Cannabis sans frontières – Suppléante Agathe Martin) et Jean-Damien de Sinzogan (royaliste – Suppléant Jordan Msihid), se sont déclarés tardivement après le report de la législative.

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Photographies © Campagnes des candidates et candidats
Haut : Danielle Simonnet, Antoinette Guhl, et Lamia El Aaraje
Bas : François-Marie Didier, Sarah Gardent, et Thomas Roger

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