Les Portes ouvertes des Ateliers d’artistes de Belleville font leur retour du 2 au 5 octobre

Comme chaque année depuis 1990, les artistes de Belleville nous invitent à pousser la porte de leurs ateliers ! Prévue du vendredi 2 au lundi 5 octobre, l’édition 2020 de ces journées Portes ouvertes “dans les coulisses de l’art” aura pour fil rouge la thématique “Anima : du latin air, souffle, respiration, ce qui nous retient à la vie”.

L’événement est toujours l’occasion d’un passionnant jeu de piste artistique à travers les rues pentues du quartier, à la rencontre des créatrices et créateurs qui y vivent et y travaillent. Des cours insoupçonnées se dévoilent aux plus curieux, certaines devantures se couvrent de tableaux, et tandis que des ateliers d’ordinaire discrets signalent leur présence d’une grappe de ballons, l’atmosphère de Belleville semble se faire plus festive encore qu’à l’accoutumée.

Cette nouvelle édition rassemblera au total plus de 130 artistes et collectifs. Leurs œuvres seront visibles pendant quatre jours dans une centaine d’ateliers et de galeries de ce quartier pas comme les autres, à cheval sur les Xème, XIème, XIXème et XXème arrondissements. De la place des Fêtes à l’avenue Parmentier, des Buttes-Chaumont à la rue de Ménilmontant, les dizaines de milliers de visiteurs attendus pourront participer à des ateliers et à des performances. Concerts, spectacles de danse, conférences et projections sont également prévus au cours de chacune de ces journées.

Alors qu’elles se tiennent habituellement en mai depuis près de trente ans, ces Portes ouvertes automnales auront la particularité de coïncider avec la “Nuit blanche” du samedi 3 octobre prochain. Pour fêter ça, les Ateliers d’artistes de Belleville (AAB) ont concocté un programme des plus prometteurs à l’attention des noctambules. Une fois la nuit tombée, des installations et performances viendront animer une petite dizaine de cours et d’ateliers, comme aux abords de la Villa Belleville, ou dans l’emblématique cour pavée du 48 de la rue Ramponeau.

Cette charmante oasis urbaine, où se trouve encore aujourd’hui la dernière métallurgie de Paris, est un témoin privilégié de l’histoire des artistes à Belleville. Dès 1990, la cour a vu naître les prémices de la mobilisation des plasticiennes et plasticiens (et plus largement des habitants du quartier, aux côtés de l’association La Bellevilleuse) contre la Zone d’aménagement concertée (ZAC) Ramponeau-Belleville. Ce projet mal-nommé, qui fit l’objet de plus de cinq ans de contestation citoyenne, prévoyait la destruction de la plupart du bâti faubourien entre la rue Ramponeau, la rue Jouye-Rouve et le boulevard de Belleville.

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Entrée de la Halle Grésillon, dans la cour
du 48 rue Ramponeau (XXème arrondissement).


Dans ce quartier marqué par l’histoire des luttes populaires, insurgé lors des Journées de juin de 1848 puis inspirateur et dernier rempart de la Commune de 1871, une coalition inédite d’artistes et de riverains attachés à son patrimoine et à son identité pousse en quelques années les autorités à revoir leurs projets. Grâce à cette mobilisation particulièrement suivie et médiatisée, le Bas-Belleville évite le sort d’autres îlots voisins de l’est parisien, comme dans les environs de la rue Rébeval, de la place des Fêtes, ou du quartier des Amandiers. Mosaïque de cultures composée par les nombreuses vagues d’immigration qui ont façonné l’histoire du quartier depuis le XIXème siècle, les petites rues qui s’étirent aujourd’hui au pied du parc de Belleville figurent sans aucun doute parmi les voies les plus charmantes de la capitale.

Leurs cours pavées et leurs anciens ateliers d’artisans, où s’installèrent à partir des années 1980 de nombreux plasticiens, sont intimement liés à la tradition populaire de l’est parisien. Dans son étude “Art et activisme dans le quartier parisien de Belleville”, la maître de conférences en urbanisme Sophie Gravereau explique qu’en raison de l’immobilier bon marché de l’époque et de l’état de délabrement avancé de certains bâtiments, ces créateurs généralement modestes parviennent à devenir “propriétaires ou locataires d’usines désaffectées, d’entrepôts délaissés ou d’anciens locaux vidés de leurs ouvriers, vestiges du passé artisanal et industriel de Belleville”.

L’association des AAB et l’organisation de ses journées Portes ouvertes ont été au cœur de la mobilisation à la fois artistique et citoyenne qui a permis de sauver ce patrimoine bellevillois, célébré sur les clichés de Willy Ronis comme dans la voix d’Édith Piaf. Dès la première édition de l’événement en 1990, il s’agit pour les artistes menacés d’expulsion “de défendre les ateliers, de s’ouvrir au public, et de créer des ponts entre les expressions culturelles”.

Au fil de cette décennie, les luttes communes pour la préservation du Bas-Belleville et le rendez-vous annuel des Portes ouvertes permettent progressivement aux artistes de s’ouvrir à leur quartier, et à leur quartier de découvrir leurs créations. Les visiteurs sont chaque année plus nombreux et attirent ainsi les projecteurs médiatiques. Le succès de l’événement met en lumière les demandes des habitants – préserver le bâti historique qui peut l’être, tout en garantissant leur maintien sur place. Mission accomplie en 1998 : le projet initial est abandonné. Dans le cadre d’une Opération Programmée d’Amélioration de l’Habitat (OPAH) lancée par la municipalité, 80% des immeubles sont sauvegardés et la totalité des résidents relogés.

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Mobilisation contre la ZAC Ramponeau-Belleville en 1994 © André Lejarre – AAB.

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Leur histoire s’étant liée à celle du quartier, les artistes et leurs ateliers font désormais partie du décor bellevillois au même titre que les restaurants asiatiques, les boutiques spécialisées dans les cuisines de tous les continents, et les terrasses qui ne semblent jamais désemplir. Après le succès de la mobilisation contre la ZAC Ramponeau-Belleville, l’initiative des journées Portes ouvertes s’est poursuivie d’année en année jusqu’à aujourd’hui.

Mais les grands jours de la mobilisation des années 1990 ne sont pas oubliés, et les artistes de Belleville ont eu l’occasion de faire entendre leurs voix plus récemment. À l’ombre des vignes de la cour du 48 rue Ramponeau, c’est une nouvelle mobilisation de plasticiens et de résidents, soutenus par la métallerie Grésillon, qui a permis d’amender en 2015 un projet immobilier prévoyant la construction d’un établissement hôtelier. À la place, le collectif Ramponeau et les habitants mobilisés ont obtenu la création d’un “Pôle artisanal de Belleville” : un projet architectural prévoyant la réhabilitation de la Halle Grésillon et l’installation d’une “vingtaine d’ateliers d’artisans” entre la cour et l’ancienne miroiterie Maestrini de la rue Bisson. La date de livraison de ces nouveaux espaces de création était initialement fixée à 2021.

Aujourd’hui, c’est de l’autre côté du carrefour de Belleville, dans le Xème arrondissement, que le sort des artistes inquiète. Ensemble ouvrier historique bâti pour héberger les travailleurs des transformations haussmanniennes, le quartier Sainte-Marthe est connu pour sa petite place au charme villageois et ses boutiques aux devantures colorées. Le résultat d’une politique d’urbanisme ambitieuse pour rénover cet ancien “îlot insalubre” dont la réputation fut longtemps sulfureuse, avec plusieurs opérations et près de 19 millions d’euros de dépenses publiques entre 2003 et 2013.

Aiguisant les appétits immobiliers, les atouts de ce micro-quartier unique en son genre se sont malheureusement retournés contre lui. Dans un contexte de hausse des loyers généralisée, les artistes qui s’y sont installés ces trente dernières années font face à une nouvelle menace depuis le rachat en novembre dernier d’une part majoritaire du propriétaire historique (“120 lots dont 80 locaux d’activité”), la Société immobilière de Normandie, par la société d’investissement Edmond Coignet, spécialisée dans la “valorisation d’actifs immobiliers de toutes classes”.

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Mobilisation sur la place Sainte-Marthe (Xème arrondissement).


Les artistes et les habitants ont multiplié les initiatives juste avant le confinement afin d’attirer l’attention sur leurs difficultés : repas de soutien, conférences et tables-rondes comme à l’école d’architecture de Paris-Belleville, organisation de l’exposition “Nous travaillons ici” dans le hall de la mairie du Xème arrondissement, et même une “casserolade déambulatoire” aux alentours de la rue Sainte-Marthe. Un vacarme protestataire qui ne suffit pas à exprimer la colère de tout un quartier, dont les artistes et artisans semblent baisser le rideau les uns après les autres.

La sculptrice Adriana Popovic dans son atelier (Xème arrondisement).

Sculptrice installée rue Jean et Marie Moinon, Adriana Popovic explique que les nouveaux propriétaires “trouvent plus rentable de convertir les ateliers en studios Airbnb ou en espace de co-working, où ils peuvent accueillir trois ou quatre personnes à la place d’un seul artiste”. Présidente de l’association OCBaux, qui lutte pour le maintien des artisans et plasticiens dans le quartier, elle déplore les pas-de-portes vides depuis plusieurs années qui entourent sa devanture, tout en indiquant les espaces récemment reconvertis en locations touristiques qui ont peu à peu envahi la rue.

Les résultats des récentes élections peuvent-elles laisser espérer de bonnes nouvelles pour le quartier Sainte-Marthe ? La mobilisation des artistes a reçu le soutien de la maire du Xème arrondissement Alexandra Cordebard, largement réélue en juin : “l’État et la Ville ont investi énormément dans ce quartier, ce n’est pas pour qu’un investisseur privé en profite”, déclarait-elle au journal Le Parisien en janvier dernier. Plus largement, le programme d’Anne Hidalgo promettait de “modifier le Plan Local d’Urbanisme pour interdire la transformation des locaux commerciaux en pied d’immeuble en hébergements hôteliers”, “d’assurer une garantie pour les loyers des artistes non-salariés”, mais aussi d’organiser un “référendum par arrondissement” en vue de réguler le nombre de jours de location autorisés pour les propriétaires Airbnb.

Cependant le temps presse, car la crise sanitaire n’a pas éteint les ambitions immobilières du nouveau propriétaire. D’après OCBaux, “la société Edmond Coignet refuse d’entendre l’appel du gouvernement à des remises de loyer pour les artisans et commerçants de proximité, alors qu’elle a au contraire profité du confinement pour annoncer à plusieurs de ses locataires des hausses de loyer de 60%, voire de 90%”. Dénonçant une “accélération de cette logique d’exclusion” et “l’éviction progressive des locataires précaires”, l’association redoute désormais “la reprise des poursuites contre les plus fragiles”. Des responsables d’OCBaux seront présents au cours des quatre journées des Portes ouvertes au 7 rue Sainte-Marthe pour rappeler “qu’une fois encore à Belleville, des artistes et artisans sont en lutte !”

Plus de trente ans après, la démarche revendicative qui a vu se mobiliser les “artistes citoyens” du quartier est donc toujours d’actualité. Cet événement culturel phare demeure l’occasion de rappeler l’attachement des Parisiennes et des Parisiens à Belleville, et aux artistes qui contribuent à sa vitalité. En soutenant ces peintres, photographes, plasticiennes et plasticiens, le public aura cette année l’opportunité d’exprimer sa solidarité avec un monde artistique qui en a rarement eu autant besoin. La 31ème édition des Portes ouvertes est en tout cas la promesse de belles découvertes créatives, et avec une centaine d’adresses à explorer, d’agréables détours au fil des pavés du vieux Belleville.

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Les artistes Lika Kato et Mellvioline devant la nouvelle fresque de leur atelier (XXème arrondissement).

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Découvrez le programme complet des Portes ouvertes 2020 sur le site des AAB:
www.ateliers-artistes-belleville.fr

Deux points d’accueil sont prévus pour les quatre journées des Portes ouvertes :
– Galerie des AAB – 1 rue Francis Picabia, 75020 Paris.
– Belvédère de Belleville – 27 rue Piat, 75020 Paris.
Les artistes de Belleville ont tous créé une œuvre originale à l’occasion de ces Portes ouvertes ! Vous pouvez découvrir ces petits formats proposés à un prix de 45€ à la galerie des AAB : la vente permettra de soutenir l’association.



Illustration :
Dans l’atelier de l’artiste Catherine Rauscher, rue de Tourtille (XXème arrondissement).

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