D’après nos informations, une proposition de vente chiffrée aux alentours de 5 millions d’euros a été présentée par Keys Asset Management, propriétaire de la Flèche d’Or. C’est 1,8 million de plus que la somme dépensée par le groupe immobilier pour racheter le site en 2018, et bien au-delà de ce que la ville de Paris comptait offrir pour s’en porter acquéreur.
Les négociations en cours entre l’actuel propriétaire de la Flèche d’Or, le groupe Keys Asset Management, et le possible repreneur des lieux, la mairie de Paris, se sont quelque peu refroidies ces derniers temps. En cause : l’annonce du prix de vente proposé par le gestionnaire immobilier, près de 5 millions d’euros. Soit, par rapport à la somme déboursée il y a deux ans et demi par le propriétaire pour racheter ce lieu emblématique du 20ème arrondissement, un enchérissement d’environ 56% !
L’outrecuidance d’une telle surévaluation a choqué plus d’un partenaire impliqué dans le dossier de la Flèche d’Or, ancienne gare de la Petite ceinture devenue salle de concert au tournant du millénaire. Pour la conseillère de Paris (PCF) Raphaëlle Primet, également déléguée au maire du 20ème en charge de l’économie culturelle, de la vie nocturne et des préemptions des lieux culturels, il s’agit d’une “offre scandaleuse”. Pour rappel, le conseil d’arrondissement puis le conseil de Paris avaient voté en faveur d’un rachat du site en juillet dernier.
“C’est un prix salé : 5 millions, ça nous pose problème. La ville comptait faire une offre aux alentours de 3,5 millions. On parle d’argent public, d’une possible bascule de 2 millions d’euros sur le dos des Parisiennes et des Parisiens”, estime l’élue de l’arrondissement. “Les négociations sont en cours, et j’espère que les propriétaires vont être raisonnables”.
Des travaux de rénovation financés par Keys Asset Management sauraient-ils justifier une telle plus-value ? On en serait assez loin : d’après Raphaëlle Primet, “ils ont dû faire 50 000 de travaux. En tout cas, c’est sûr, ils n’ont pas dépensé 2 millions !” La conseillère de Paris juge cette proposition d’autant plus malvenue que la Flèche d’Or est un lieu cher aux résidentes et résidents du quartier, et que nombre d’entre eux sont depuis longtemps impliqués pour contribuer à définir l’avenir du lieu. “Les habitants n’ont pas l’intention de se laisser faire”, prédit-elle.
L’histoire récente le démontre en effet : le projet d’occupation actuel avait été négocié entre la ville, les propriétaires et le collectif citoyen La Flèche Dort suite à l’investissement des locaux en novembre 2019 par des associations et des Parisiennes et Parisiens du quartier. Le site avait alors été évacué par les forces de police dans un nuage de gaz lacrymogène.
Pour Olivier P., actif au sein du collectif La Flèche Dort, les responsables de Keys Asset Management doivent “admettre s’être totalement plantés en pensant faire une bonne opération commerciale sur un lieu si symbolique pour les Parisiennes et les Parisiens”. Il rejoint la conseillère de Paris pour fustiger une offre “très au-dessus des prix du marché. Ils pourraient légitimement vendre à 3,5 millions, en tout cas loin des 5 millions proposés”.
Alors qu’une remise à neuf du site apparaît nécessaire afin de préciser ses usages à long terme, la question des travaux devrait peser dans les négociations en cours, conduites en lien avec l’adjointe à la maire de Paris chargée de la culture Carine Rolland, la Direction des affaires culturelles, et la Direction des finances et des achats de la ville de Paris. Car non content de réaliser une plus-value sur cette vente, le propriétaire pourrait par ailleurs laisser une belle ardoise aux Parisiennes et aux Parisiens.
Une proposition soumise au Budget participatif 2021 visant à “l’aménagement et la rénovation de la Flèche d’Or” évalue le coût des aménagements nécessaires à 2 millions d’euros. Possiblement un nouveau fardeau pour la municipalité, qui s’ajouterait donc au rachat du site. À titre personnel, Olivier P. est d’ailleurs opposé à ce principe, jugeant que ce serait “détourner un outil de démocratie participative pour un lieu qui est encore dans le domaine privé”.
La perspective de rénovations importantes – qui pourraient nécessiter une fermeture, ou se dérouler par étapes pour garantir une ouverture partielle – est en tout cas un argument de poids en vue de la négociation d’un prix plus raisonné. Une révision qui ne ferait pas les affaires de Keys Asset Management, groupe qui œuvre au “développement et à la gestion de fonds d’investissement immobiliers alternatifs et innovants”. Le propriétaire se vante ainsi de “créer des véhicules d’investissement novateurs, conçus dans l’intérêt des investisseurs”.
La Flèche d’Or, simple “véhicule d’investissement novateur” ? Avec un portefeuille de “63 actifs et 72 projets en co-développement” et 1,3 milliard d’euros d’actifs sous gestion en 2019, Keys Asset Management se spécialise en effet dans la “revalorisation d’actifs immobiliers et leur repositionnement sur le marché”. Ses équipes ont pour objectif de “transform[er] des immeubles décotés (bien placés mais obsolètes) et les revend[re] en actifs “prime” (bien placés et en phase avec les besoins du marché : techniques, environnementaux, d’usage, esthétiques)”.
Cette fois-ci, Keys Asset Management n’a pas eu l’occasion d’opérer la “transformation” du site espérée après son rachat en octobre 2018. Le groupe envisageait à l’origine d’y installer “un restaurant ou commerce de bouche”. Si ses activités concernent surtout des immeubles de bureaux, il est également actif dans les secteurs de l’hôtellerie, de la restauration, et du tourisme. Il y a deux ans, il s’est par exemple porté acquéreur de la LX Factory de Lisbonne, un ancien complexe industriel de 25 000 mètres carrés rassemblant aujourd’hui des boutiques de créateurs et des restaurants “branchés”.
La carte des actifs de Keys Reim, la société de gestion de portefeuille du groupe, est plutôt évocatrice quant à ses ambitions. La Flèche d’Or y figure dans la catégorie “Keystone Real Estate Placement”, symbolisée par une pile d’argent :
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Naxicap Partners est entré au capital de Keys Asset Management en 2019. Cet “acteur de référence du capital investissement » est affilié à Natixis Investment Managers, lui-même filiale du groupe BPCE, “deuxième acteur bancaire en France » ayant réalisé cette même année un résultat net de 1,37 milliard d’euros. Un an plus tôt, BPCE devenait par ailleurs “le premier partenaire premium de Paris 2024 ». En annonçant ce “parrainage” des Jeux olympiques, le président du directoire du groupe, Laurent Mignon, se félicitait “d’apporter une contribution à cet évènement historique pour notre pays ». Est-il bien envisageable de réaliser en parallèle de ces beaux discours une opération de plus-value immobilière financée par les Parisiennes et des Parisiens ?
Les négociations seraient loin d’être terminées, et la crise sanitaire que nous traversons ne contribue guère à éclaircir l’horizon de la Flèche d’Or. Si un achat par la ville de Paris devait bien se concrétiser dans les prochains mois, les travaux seraient nécessairement suivis par un nouvel appel à projet pour déterminer les futurs usages du lieu. On peut en tout cas s’attendre à une prolongation de l’occupation temporaire des collectifs déjà sur place. Leurs équipes contribuent aujourd’hui à un véritable élan de solidarité à l’échelle du quartier, en organisant plusieurs fois par semaine des actions d’aide alimentaire et des distributions de repas.
Dans une note d’intention rédigée en décembre dernier, la mairie du 20ème se donnait pour objectif “de faire émerger un lieu pluriel à forte dimension culturelle et d’utilité commerciale raisonnée, une ambiance “place de village” à laquelle les résidents comme les gens de passage pourront s’identifier.” L’équipe municipale élue en juin dernier souhaite “avancer sur un lieu hybride entre café associatif, espace de travail collaboratif au service des associations locales, et lieu de création et de programmation”.
Dans ce même document, la mairie d’arrondissement estime que “la Flèche d’Or est l’opportunité idéale pour démarrer la reconquête de la Petite ceinture portée par la maire de Paris lors de sa campagne. Il est ainsi essentiel de prévoir la rénovation de la passerelle vers les rails dans le plan de travaux. Des projets d’agriculture urbaine et un lien avec la Maison Florian, prochainement occupée à nouveau, pourraient ainsi être lancés”. D’après nos informations, la désignation du projet qui occupera pour douze ans cette adresse voisine du 1 rue Florian, propriété de la SNCF, devrait intervenir dans les prochaines semaines.
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Photographies © Paris Lights Up
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