Au moins 624 personnes disparues à la rue l’an dernier, selon le collectif Les Morts de la Rue

Avec 624 personnes victimes de la rue en 2022 recensées par le collectif, la situation ne montre hélas aucun signe d’amélioration ces dernières années. L’Île-de-France demeure de loin la région la plus touchée.

“624 personnes. Tel est le nombre de décès recensés en France en 2022 par le Collectif Les Morts de la Rue (CMDR). 624 personnes sans chez soi, 624 personnes qui étaient sans logement personnel, à la rue, dans un abri, en squat ou encore dans une structure d’hébergement au cours de leurs derniers mois de vie” : c’est par ces mots que débute le dernier rapport annuel “Dénombrer et Décrire” du collectif, publié le 27 octobre. “Les différentes méthodes de recensement divergent dans leurs estimations du nombre de personnes sans chez soi vivant en France, néanmoins ces chiffres interpellent. Ce qu’ils ne révèlent peut-être pas, ce sont les visages, les vies et les histoires qui se cachent derrière ceux-ci”, poursuit le CMDR.

Elles et ils avaient en moyenne 49 ans – près de trente de moins que l’âge de décès observé dans la population française en général. D’après les équipes du CMDR, 40% des personnes recensées l’an dernier étaient “sans chez soi. Et parmi elles, 93% étaient à la rue et 7% en hébergement d’urgence”. Par ailleurs, “35% étaient sans logement personnel, c’est à dire hébergées en CHRS [Centre d’hébergement et de réinsertion sociale], en centre de stabilisation, en hôtel, en structures de soins, en foyer de travailleurs migrants” tandis que “12% étaient dans un logement précaire (squat ou hébergé par un tiers)”. La hausse du pourcentage de personnes “sans abris”, entièrement contraintes à la rue, est notable en 2022 par rapport aux chiffres observés les dix années précédentes.

 

Classification ETHOS (European Typology on Homelessness and Housing exclusion) des personnes sans chez soi décédées en 2022 et en 2021 recensées par le CMDR © Collectif Les Morts de la Rue – 11e rapport annuel Dénombrer et Décrire

 

D’après la Fondation Abbé Pierre, la France compte aujourd’hui 330 000 personnes sans chez soi et 4,1 millions de personnes mal logées

Il est très difficile de connaître la trajectoire personnelle de certaines victimes de la rue, c’est pourquoi les associations et les chercheurs spécialisés considèrent que le nombre de décès recensés reste largement sous-estimé. “Selon l’étude effectuée en 2014 en partenariat avec le Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de Décès (CépiDc), unité de service de l’Inserm en charge de produire la statistique nationale des causes médicales de décès, la réalité se tenait autour d’un peu plus de 2 000 décès par an”, rappelle ainsi le CMDR dans son dernier rapport. La région Île-de-France est particulièrement meurtrie par ce fléau. D’après ses données, le territoire concentrait à lui seul 43% des décès de personnes liés au sans-abrisme observés en 2022 – 28% pour la seule capitale – même si “ce résultat est à interpréter avec précaution, car ces différences de mortalité géographiques peuvent être liées à l’implantation du CMDR à Paris et au système de surveillance qui ne couvre pas le territoire dans sa totalité à travers le réseau de partenaires” du collectif créé en 2003, notamment associatifs.

Le dernier rapport du CMDR cite celui de la Fondation Abbé Pierre, qui évalue à “4,1 millions de personnes mal logées dont 1 098 000 personnes privées de logement personnel” en France, avec “330 000 personnes sans chez soi, qu’elles vivent en hébergement collectif, à l’hôtel, en CADA [Centre d’accueil pour demandeurs d’asile] ou hébergés dans un logement associatif ou à la rue”. Signe du paradoxe et de la brutalité que représente la persistance du “sans-abrisme”, des chiffres publiés par l’Apur estiment que plus de 18 600 logements étaient “durablement vacants” à Paris en fin d’année 2020. Dans la capitale, seuls 80% des logements étaient alors “occupés toute l’année par des ménages dont c’est la résidence principale” : en effet, 9% étaient des résidences secondaires, et 11% considérés comme vacants. Selon d’autres données, celles de l’Insee, la région Île-de-France compterait autour de 400 000 logements vides, dont près de 117 000 dans la seule capitale : près d’une quarantaine pour chacune des 3 015 personnes à la rue recensées en janvier dernier à Paris lors de la Nuit de la Solidarité 2023.

 

Personnes à la rue recensées lors de la dernière Nuit de la Solidarité, du 26 au 27 janvier 2023 © Nuit de la Solidarité – Atelier parisien d’urbanisme – Ville de Paris

 

Le collectif préconise notamment de “prévenir la perte de logements et les expulsions locatives

Le CMDR fournissait dans une précédente enquête une liste de recommandations “dont la principale est la juste application du droit existant, notamment au niveau administratif – le droit à la domiciliation n’est pas effectif sur l’ensemble du territoire, tout comme l’accès à la demande d’asile, et le tout numérique mis en place dans les préfectures et sous-préfectures renforce les inégalités envers les plus vulnérables”. Il préconisait aussi de “prévenir la perte de logements et les expulsions locatives”, précisant que leurs conséquences “sont multiples ; à la fois psychologiques, sociales, et sanitaires. Elles renforcent la vulnérabilité de ces personnes déjà en situation précaire et les conduisent dans certains cas à un parcours d’errance”.

Après des installations-hommages organisées ces dernières années par le collectif au jardin Villemin (10e arrondissement) puis autour du lac des Buttes-Chaumont (19e), une marche en mémoire des centaines de personnes disparues en 2022 a rejoint le cimetière du Père Lachaise (20e) depuis la place de la Nation en juin dernier, occasion de rappeler leurs noms, leurs âges, et leurs parcours de vie. “Avec la crise du logement et celle de l’emploi qui s’aggravent au fil des années, les inégalités socioéconomiques qui s’accentuent et les réductions de l’aide sociale qui laissent bon nombre de personnes dans une pauvreté accentuée, il est essentiel de prendre des mesures pour prévenir le sans chez soi, notamment en renforçant les chances de chacun dans la vie, en permettant aux jeunes et adultes en âge de travailler de jouir d’une participation sociale, économique et culturelle dans la société, et réduire le risque de sans chez soi chez les enfants et les jeunes, parfois sujets des troubles mentaux liés au sans chez soi de leurs parents”, rappelle aujourd’hui le collectif dans son rapport annuel.

 

 

Photographie d’illustration : Hommage aux morts de la rue en avril 2019 au jardin Villemin – Paris 10e
© Paris Lights Up

 

 

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