Deux mois après les tentatives d’évacuation de la place de Stalingrad et des jardins d’Éole, la maire de Paris demande le soutien du gouvernement pour l’ouverture de quatre sites dédiés à l’accueil des personnes toxicomanes.
La situation liée à la crise du crack ne s’améliore pas dans le nord-est parisien, en particulier à la limite des 18ème et 19ème arrondissements, de la Chapelle à la Villette en passant par Stalingrad et Jaurès – tous des quartiers historiquement populaires. Les jardins d’Éole sont en théorie de nouveau accessibles au public, mais l’absence de changements majeurs, l’insécurité persistante, et les conditions de vie toujours dramatiques des victimes de drogues dures rassemblées sur les trottoirs voisins de la rue d’Aubervilliers et de la rue Riquet n’incitent guère les riveraines et les riverains à l’optimisme. Devant l’échec des stratégies mises en place ces dernières années par les pouvoirs publics, l’équipe municipale parisienne demande aujourd’hui à l’exécutif d’accompagner la mise en place d’espaces mieux adaptés aux enjeux de cette crise multiforme.
Dans une lettre adressée lundi 30 août au Premier ministre Jean Castex suite à une nouvelle réunion avec les élus, des acteurs associatifs locaux, et des représentants de collectifs d’habitants, Anne Hidalgo estime “qu’il est grand temps d’ouvrir les lieux supplémentaires de prise en charge qui permettront de sortir ces personnes de la rue et de leur dépendance. En ce sens, le conseil de Paris a adopté le vœu que soit créé un réseau métropolitain de lieux de prise en charge du crack : des lieux à taille humaine, disséminés sur l’ensemble du territoire du Grand Paris, combinant accueil et espace de repos le jour, des places d’hébergement d’urgence la nuit, une offre de soins addictologiques et psychiatriques, de l’accompagnement social, et un cadre thérapeutique de prise en charge des toxicomanes”.
Faute de “réseau métropolitain” existant et dans l’attente d’initiatives portées par d’autres communes franciliennes, la maire de Paris annonce que la municipalité a “expertisé au cours de l’été” 35 sites de la capitale offrant un potentiel de reconversion en lieux d’accueil dédiés aux victimes de la toxicomanie. Quatre d’entre eux auraient finalement été retenus :
• 10ème arrondissement / Paris Centre : deux sites sont évoqués dans le quartier des Grands Boulevards, vraisemblablement sur l’axe du même nom, entre les stations Bonne Nouvelle et République. L’un d’entre eux pourrait être “opérationnel avant la fin de l’année”.
• 19ème arrondissement : également dédié aux soins et à la mise à l’abri, un lieu d’accueil de jour des femmes toxicomanes pourrait voir le jour dans le nord de l’arrondissement pour “lutter contre les violences spécifiques qu’elles subissent”.
• 20ème arrondissement : un site du quartier Pelleport pourrait être utilisé pour un accueil de jour comme de nuit, proposant notamment “une activité de soin”. D’après l’exécutif parisien, il est possible que ce dernier soit ouvert “avant la fin de l’année”.
La maire de Paris évoque enfin la possibilité de faire évoluer “huit lieux ouverts” du 18ème arrondissement “pour accueillir des personnes toxicomanes, en augmentant les moyens financiers pour élargir les horaires de prise en charge, et des propositions de soins et de services”. Plusieurs d’entre eux seraient dorénavant capables d’opérer de jour comme de nuit. D’après le courrier transmis au Premier ministre, les services de la ville sont prêts à poursuivre “l’expertise technique sur les bâtiments et leur adaptation”.
La municipalité n’a cependant pas précisé si un dispositif semblable à celui de la salle de consommation à moindre risque (SCMR) expérimentée depuis 2016 à l’hôpital Lariboisière (10ème arrondissement) pourrait voir le jour dans une ou plusieurs des adresses retenues – pour rappel, le sujet avait fait débat au sein de l’exécutif, le ministre de la Santé ayant finalement obtenu gain de cause face au ministre de l’Intérieur. D’après le maire du 19ème arrondissement François Dagnaud, cité par le Monde, “peut-être peut-on envisager effectivement des espaces d’inhalation ici ou là, c’est à voir”. Sensible politiquement, le sujet des salles de consommation oppose régulièrement la droite parisienne et la majorité municipale au cours des séances du conseil de Paris.
Rappelant dans son courrier que l’autorisation et le financement des dispositifs présentés relève du ministère de la Santé et de l’Agence régionale de santé (ARS) d’Île-de-France, Anne Hidalgo demande une nouvelle fois “l’accroissement significatif des moyens de police judiciaire pour lutter contre les trafics”, en particulier aux alentours de la rue Riquet. Elle réitère aussi les appels de la gauche parisienne pour la création d’autres lieux dédiés à la prise en charge des personnes toxicomanes à travers le territoire du Grand Paris “afin de desserrer l’étau qui pèse sur la capitale intramuros”.
Si l’on peut voir dans la multiplication des points d’accueil des signes encourageants, comme l’opportunité de “soulager” en partie les riverains de Stalingrad ou de la SCMR du 10ème arrondissement, force est de constater que toutes les solutions proposées feront une nouvelle fois porter le fardeau de cette épidémie aux seuls quartiers du nord-est parisien. Les lourdes conséquences de la crise liée au crack, souvent qualifiée de “drogue du pauvre”, sont ainsi cantonnées aux arrondissements de la capitale qui concentrent déjà le plus de vulnérabilités économiques et sociales. Au risque d’exposer à de nouveaux dangers des publics jusqu’alors épargnés, notamment parmi les personnes en exil ou sans-abri.
Il serait étonnant que la rive gauche ou l’ouest parisien ne disposent pas d’un seul lieu capable d’accueillir une partie de ces femmes et ces hommes en souffrance. Les courageux maires de certains arrondissements sont peut-être simplement soucieux de ne pas froisser leurs électeurs en s’exposant à une dévaluation immobilière des quartiers cossus. Comme nous l’évoquions à l’heure de la “fermeture” des jardins d’Éole, la situation actuelle apparaît aussi comme la manifestation d’une discrimination systématique et insupportable envers les quartiers populaires du nord-est parisien, mélange sournois de classisme et de racisme. La place des Ternes ou Saint-Germain-des-Prés auraient-ils pu connaître un sort semblable à celui de Stalingrad ? Une “expérience” telle que le déplacement puis l’évacuation des personnes toxicomanes aux jardins d’Éole serait-elle envisageable au parc Monceau ou au square Boucicaut ?
Les arrondissements du nord-est parisien et leurs habitants demeurent seuls pour affronter cette crise durable, et assurer un effort de solidarité auquel ils contribuent déjà plus que les autres. La répartition des logements sociaux dans la capitale est à ce titre très révélatrice : alors qu’elle atteignait un taux de 21,9% des résidences principales parisiennes en 2019, ce pourcentage était de 2,1% dans le 7ème arrondissement, de 3,4% dans le 8ème, et de 7,3% dans le 16ème. Par comparaison, ce taux s’élevait à 42,1% dans le 19ème – le record à Paris – à 36,2% dans le 20ème, et à 22,4% dans le 18ème arrondissement. Si l’objectif de 25% de logements sociaux parmi les résidences principales fixé par la loi SRU pourrait bientôt être atteint, c’est donc très largement grâce aux efforts de ces arrondissements “solidaires” de l’est parisien.
En laissant des milliers de personnes à la rue dans la capitale, les crises du logement et de l’accueil sont d’ailleurs à mettre en parallèle avec la persistance de l’épidémie locale de drogues dures. Dans une région Île-de-France où l’on compte d’après l’Insee 400 000 logements vides, l’hébergement systématique des personnes les plus précaires semble un prérequis évident pour voir enfin la situation s’améliorer durablement. Comme le rappellent l’Inserm et l’OFTD dans leur étude sur le crack publiée en début d’année, « la plupart des usagers font remonter en priorité leurs souhaits de se mettre à distance des produits par l’accès à un hébergement éloigné des scènes de consommation en insistant sur l’intimité, le sevrage, et une individualisation des réponses ».
Les nouvelles propositions de la maire de Paris n’ont pas levé tous les doutes des riveraines et riverains de la rue Riquet. L’ouverture de ces quatre nouvelles structures, qui plus est dans les arrondissements voisins, ne risque-t-elle pas d’être insuffisante pour accueillir les centaines de personnes toxicomanes poussées à la cohabitation dans le quartier ? Ce dernier pourra-t-il bientôt retrouver un semblant de normalité, alors que les lieux de prise en charge évoqués pourraient attendre la fin de l’année avant de voir le jour ? Après un été d’immobilisme, les Parisiennes et les Parisiens les premiers concernés redoutent que leur patience soit de nouveau mise à rude épreuve. Pendant ce temps, pour les victimes du crack dont ils partagent malgré eux le tragique quotidien, l’enfer ne semble pas encore avoir de porte de sortie.
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Photographie : Le bassin de la Villette et la place de la bataille de Stalingrad, Paris 19°.
© Paris Lights Up
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