La Villette : une manifestation pour les cygnes et la création d’un sanctuaire animalier

Le couple de cygnes vedette du 19ème arrondissement a débuté la construction d’un nouveau nid sur le “radeau végétalisé” du canal de l’Ourcq. Exposant comme l’an dernier les œufs et les futurs cygneaux à de nombreux dangers, cette situation était redoutée par des riverains et l’association Paris Animaux Zoopolis (PAZ), à l’origine du rassemblement de ce vendredi.

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On prend les mêmes erreurs et on recommence ? C’est en tout cas la crainte de PAZ, et de la vingtaine de manifestantes et manifestants réunis en début d’après-midi au pont levant de la rue de Crimée pour dénoncer “l’inaction de la mairie” concernant le sujet des oiseaux de la Villette. L’association avait déposé une plainte contre la ville en décembre dernier, estimant que les services municipaux n’avaient pas été à la hauteur de leurs responsabilités pour protéger l’environnement des cygnes. Un seul des cinq petits d’Odette et Siegried nés au printemps 2020 ayant vraisemblablement pu atteindre un âge adulte, la crainte d’une répétition de cette situation est vive auprès des participants.

Dans l’assistance, on regrette plus largement l’absence d’avancées probantes autour du projet de “sanctuarisation” de la darse du Rouvray, discret canal en impasse longeant le parc de la Villette tout proche (voir carte au bas de l’article). D’après les riveraines et riverains venus soutenir l’action de PAZ, la transformation de cet espace en lieu réservé aux seuls animaux, avec un déplacement préalable du radeau, aurait permis d’éviter une nouvelle nidification sur le site voisin du canal de l’Ourcq, beaucoup plus fréquenté, et donc davantage exposé aux activités humaines.

“Nous nous inquiétons pour ce couple que nous suivons depuis un an, et qui appartient à une espèce protégée”, rappelle Amandine Sanvisens, cofondatrice de PAZ. Après les disparitions de l’an dernier, la première de ses préoccupations concerne “la sécurité des cygnes”. Elle pointe également “le manque de place : la mairie ayant grillagé les deux tiers du radeau, il ne leur reste plus beaucoup d’espace pour se déplacer. Où vont se mettre les petits ?”

L’association appelle aujourd’hui la mairie à déplacer le radeau sur le site de la darse du Rouvray, chaque jour qui passe rendant d’après elle la situation plus critique. L’an dernier, la ponte s’était déroulée fin avril, avant l’éclosion des œufs fin mai. “Déplacer le radeau nous semble problématique, mais toujours mieux que de laisser le radeau et le nid à cet endroit. Les morts successives des cygneaux de 2020 ne doivent pas se répéter. Tout doit être mis en œuvre pour que les naissances et leurs débuts dans la vie se déroulent au mieux”, estime Amandine Sanvisens.

Pour elle et les manifestants, la situation met en lumière les bénéfices qu’apporterait la sanctuarisation de la darse du Rouvray. Le projet comprend le déplacement du radeau végétalisé sur ce site plus à l’abri, mais aussi l’interdiction de l’accès au grand public et de la pratique de la pêche depuis les rives du canal, ainsi que son nettoyage régulier en lien avec des associations.

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© Paris Animaux Zoopolis

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Au cours d’échanges en ligne organisés en janvier dernier avec les habitantes et habitants de l’arrondissement, le maire (PS) du 19ème François Dagnaud avait jugé le projet « plus qu’envisageable » sous la mandature actuelle. « C’est un engagement que j’ai pris avec mon équipe, et j’ai chargé Roger Madec de piloter ce sujet. L’idée, c’est effectivement de transformer la darse du Rouvray en réserve de biodiversité », avait-t-il précisé.

Maire de l’arrondissement de 1995 à 2013, le conseiller de Paris (PS) Roger Madec est aujourd’hui responsable local de l’aménagement urbain, de la biodiversité, et de la condition animale. Contacté en début d’année par notre rédaction, il affirmait qu’il avait été demandé aux services de la ville de Paris concernés « de favoriser la biodiversité et la renaturalisation du site (pose de nichoirs, végétalisation, etc.), de travailler à sa labellisation ou à son classement, et d’engager une discussion avec l’État afin que la ville récupère (en propriété et en gestion) la partie du fond de la darse » qui échappe actuellement à ses compétences. « La ville n’est propriétaire que d’une partie de la darse », rappelait en effet Roger Madec. D’après les équipes de la mairie, l’autre moitié appartient à la direction immobilière du ministère des Finances.

“Monsieur Madec nous a informés qu’une étude des canaux est en cours. C’est bien, mais nous regrettons qu’elle ne se fasse que maintenant. Nous faisons cette demande depuis un an”, rétorque aujourd’hui PAZ dans une lettre également adressée à Christophe Najdovski, adjoint (EELV) à la maire de Paris en charge de la biodiversité et de la condition animale. Le sujet devrait en tout cas s’inviter ce vendredi dans les échanges entre l’équipe municipale et les habitants du 19ème arrondissement, à l’occasion d’un rendez-vous en ligne désormais mensuel organisé à 18h30.

Parmi les riverains et surtout riveraines présents en début d’après-midi, on a bien du mal à comprendre l’entêtement de la mairie concernant le positionnement de ce nouveau radeau végétalisé – “un machin à 20 000 ou 30 000 euros » – à un carrefour aussi important de l’arrondissement. Pendant le rassemblement retentissent ainsi plusieurs concerts de klaxons liés à la lenteur du trafic, tandis que piétons, cyclistes, poussettes, et mobylettes se croisent dans un joyeux chaos. Ce tintamarre est renforcé par la sirène occasionnelle de la caserne de pompiers toute proche, bordant les quais du canal. Rappelons qu’à l’arrivée des beaux jours, ces derniers sont fréquentés à toute heure par la jeunesse parisienne, alors qu’une nuée de petits bateaux à moteur se relaie sous le pont marquant la limite entre le bassin de la Villette et le canal de l’Ourcq. Bref, les alentours du nid ne sont pas vraiment de tout repos.

“S’il faut garder le radeau, qu’on le déplace dans un endroit tranquille !”, juge ainsi un manifestant en désignant les détritus qui entourent déjà l’ébauche de nid d’Odette et Siegried. Après avoir récité un poème en hommage à la beauté des cygnes, et distribué quelques tracts à des passants parfois interloqués, Claire, une riveraine qui a suivi de près la famille d’oiseaux, se propose de “faire la guide pour une visite de la darse du Rouvray. C’est pratique, c’est à cinq minutes à pied !”

Que ce soit dès aujourd’hui ou dans les années à venir, PAZ et ses soutiens espèrent que ce canal méconnu deviendra bientôt “le premier sanctuaire animalier à Paris”. Douchka Markovic, conseillère de Paris du Parti animaliste venue se joindre au rassemblement, juge en tout cas que la darse est “un sujet emblématique” pour la condition animale. L’élue du 18ème propose ainsi d’imaginer “partout dans Paris” de tels espaces, “où les animaux pourront vivre sans être perturbés par les humains”.

“Le cas des actes de malveillance, c’est un exemple des difficultés qui se posent pour les animaux liminaires”, explique-t-elle, en faisant référence aux espèces évoluant aux côtés des humains. “Une ville sans animaux, c’est une ville qui est triste. Il faut leur faire une place”. Avec les manifestantes et manifestants, elle regrette que la situation n’ait guère évolué depuis la première ponte d’Odette lors du confinement du printemps 2020. “C’est dramatique car c’est vraiment tout simple : c’est faisable en une journée”, estime l’élue, en rappelant elle aussi que les cygnes sont une espèce protégée.

Le sujet de la darse du Rouvray, jusqu’à présent plutôt local, pourrait-il s’inviter en conseil de Paris ? Une telle possibilité n’est pas exclue par la conseillère animaliste, qui précise qu’un ensemble de mesures portant sur les thèmes de la biodiversité et de la condition animale devrait y être proposé au cours de la séance du mois d’avril. Les associations ont récemment obtenu des victoires notables dans cette assemblée, avec la fermeture à venir du marché aux oiseaux de l’île de la Cité et l’interdiction de la pêche au vif, votées en février par les élus parisiens. Pour la municipalité, la création du premier sanctuaire animalier de la capitale serait l’opportunité de définir une nouvelle vision de ce que peut être la nature en ville.

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Photographies © Paris Lights Up

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