Photographie : Au Point Éphémère (10e), “Reines du Ring” explore le monde du catch féminin mexicain et la vie de ses lutteuses

Le photographe Théo Saffroy s’installe cet été au Point Éphémère (10e arrondissement) pour mettre en avant la lutte des catcheuses mexicaines, dans une discipline demeurée longtemps réservée aux hommes.

Dans les locaux du Point Éphémère, installé au centre de son exposition entouré de stickers, affiches, photos et masques de luchadors disponibles à la vente, Théo Saffroy accueille les curieux, et revient volontiers sur ce qui l’a motivé à immortaliser le travail de ces femmes mexicaines qui se produisent devant des milliers de spectatrices et spectateurs en liesse. Cette lutte pour exister dans un environnement macho prend racine dans des récits de vie complexes et engagés, avec des lutteuses qui vivent leur carrière comme une émancipation, ou une manière de mener à bien des luttes sociales, par exemple pour les droits LGBTQ+. Inaugurée le 7 juillet, l’exposition Reines du Ring est visible jusqu’au 24 août.

Entre photographies mises en scène et clichés spontanés pris au bord de l’arène, Reines du Ring laisse place aux témoignages de ces lutteuses, qui reviennent sur leur parcours et ce que peut représenter le fait d’être une femme lutteuse au Mexique. Le photographe y ajoute son expérience personnelle, à travers des notes mêlant ressentis et anecdotes qui reviennent sur ce long voyage et son organisation. “Je tourne en rond dans mon salon. Depuis deux ans, le covid compromet chaque élan de reportage. Je voulais retourner au Mexique. J’y avais vécu l’année de mes 19 ans et cela avait changé ma vie”, indique une note datée de décembre 2021. Une plus positive suit : “Premier combat accrédité à l’Arena Naucalpan” en février 2022.

« Une femme qui est lutteuse, c’est une femme qui est engagée sur le ring mais aussi en dehors du ring »

En suivant l’aventure de Théo Saffroy, le spectateur se représente peu à peu le chemin parcouru pour mener à bien ce projet. Si ses notes permettent de réduire la distance avec le spectateur français étranger à la culture mexicaine et à ses luttes, plus loin, ce sont vite les témoignages des catcheuses qui occupent l’espace, conduisant peu à peu le spectateur à entrevoir la vie d’une femme qui décide de porter le masque et de monter sur un ring au Mexique. Le photographe explique :

« La genèse, c’est ce que j’ai vécu au Mexique à l’âge de 19 ans. Je voulais travailler sur la culture mexicaine. C’est un pays qui a changé ma vie et qui m’a passionné. Je fais d’autres sujets sur le sport et les mutations sociales, mais la lucha libre est un sujet que je n’avais jamais vraiment creusé. Je me rappelais de l’iconographie du masque, avec une distance, en tant que Français, sans trop comprendre ce que ça signifie. Je me demandais qui étaient ces personnes qui mettent un masque, ces costumes extravagants. C’est violent mais en même temps il y a du théâtre, c’est un show de masse, une catharsis populaire avec énormément de bruit et d’adrénaline. Je me suis renseigné depuis la France, puis au Mexique, et je me suis rendu compte que la ligue féminine commençait à éclore de manière assez exponentielle. Il y a toujours eu des lutteuses au Mexique, mais elles ont été interdites de lutte pendant des années. On parle d’un pays avec énormément de machisme, des violences faites aux femmes très élevées. Le sujet, c’est à la fois la lucha libre, l’expression d’un sport entre le combat et le théâtre, c’est un retour à l’enfance, c’est un monde de super-héros. Nous avons les Marvels, eux ont les luchadors. L’Arena Mexico, c’est 25 000 places, c’est comme un Bercy. Il y a donc ce sujet sur la lucha libre, et à côté de ça, ce qui est fascinant, c’est qu’aujourd’hui une femme qui est lutteuse, c’est une femme qui est engagée sur le ring mais aussi en dehors du ring. Il y a toute cette lutte symbolique que j’ai voulu raconter en faisant des interviews de ces lutteuses, en répondant aux questions ‘qui sont ces femmes ?’, et ‘qu’est ce que c’est d’être femme et lutteuse au Mexique ?’« 

Jérémy Torres pour Paris Lights Up : C’est une exposition assez personnelle ?

Théo Saffroy : « La deuxième partie de l’exposition met en avant des témoignages de lutteuses. On se rend compte qu’elles peuvent partager un passé assez violent, avec des histoires d’agression sexuelles, des violences dans la rue, ou par exemple une fille qui a été agressée, qui est la sœur de cinq petits frères dans sa famille, qui a voulu apprendre à se défendre et qui a commencé la lucha libre à partir de ce traumatisme. Une fille qui défend les droits LGBT. Princesa Sugehit, Marcela, elles ont 25 ans de carrière, elles expliquent la difficulté que c’était de rentrer dans un monde macho. C’est un sport principalement masculin jusque dans les années 90 : les femmes étaient interdites de lutter officiellement, donc elles ne participaient qu’à des spectacles temporaires. Elles expliquent la difficulté de la rencontre des corps. Les femmes ont les mêmes entraînements, la même dureté, la même force, elles sont très résistantes et ont besoin de beaucoup de courage pour en arriver où elles sont aujourd’hui. Une nouvelle génération prend un peu plus facilement de la place grâce au travail de ces lutteuses des années 90. Lorsqu’elles prennent la parole, elles sont très engagées sur la place de la femme dans la société au Mexique. »

Comment est perçue cette mise en avant des femmes lutteuses au Mexique ?

« Pour une partie, ça a évolué. Au début, dans les années 90-2000, on peut le voir dans la partie sur Marcela, c’était des phrases comme ‘qu’est-ce que tu fous là ?’, ‘retourne dans ta maison’, ‘une femme, sa place c’est dans la cuisine à élever les enfants’, des choses comme ça. Les lutteuses, depuis les années 40, c’est le premier symbole de rébellion de l’image classique de la femme, qui n’a pas à être coquette, gentille, attentiste, mais engagée, libre, et dure au combat. Ce sont de vraies athlètes, qui combattent comme les hommes, avec des capacités athlétiques différentes, mais le même engagement. Donc je dirais que c’est de moins en moins macho, même si ça reste principalement masculin. Dans une soirée de lucha libre se succèdent cinq combats, du moins expérimenté au plus expérimenté. La dernière, c’est la lucha espectacular, la lutte étoilée avec les meilleurs lutteurs du monde qui s’affrontent. Aujourd’hui, il n’y a jamais de femmes sur la cinquième, donc on peut juger de ce point de vue aussi. Elles ont plus de place désormais, mais elles ne sont pas mises au niveau des hommes, elles sont moins rémunérées, mais elles bénéficient d’une popularité assez extraordinaire en ce moment. Pour une personne du public, c’est très innovant et très attendu. L’évolution reste positive. »

L’exposition est à cheval entre le reportage, le documentaire et le portrait. Comment avez-vous approché ce travail ?

« Il y a une partie reportage sur le vif, avec les combats dans les arènes, au plus près des luttes, le coude sur le ring. On m’a bien dit de rester accroupi pour éviter que les spectateurs ne me jettent de la bière, et de bien rester dans les angles pour laisser la place aux lutteuses. Ensuite, il y a la partie portrait, où il y a une heure d’interview. J’explique le projet, à savoir parler de la lucha libre féminine, avec une lutte métaphorique de ces femmes, en posant des questions comme ‘qui êtes-vous sous le masque ?’, ‘qu’est ce que vous défendez ?’, et ‘comment c’est d’être une femme qui pratique la lutte ?’. Il y a aussi un sujet sur les mères, la grande majorité étant mères et célibataires. Tu es lutteuse, tu subis le machisme, et tu es mère, tu as beaucoup plus d’efforts à faire pour atteindre le haut niveau. Concernant la partie portrait, il y a aussi des interviews qui sont diffusées. »

Est-ce que ça n’a pas été compliqué d’intégrer ce monde en y étant « étranger » ?

« Je parle espagnol, c’est un point important, et j’ai vécu là-bas. Ensuite, quand on a envie de faire un sujet, il faut beaucoup se documenter, il ne faut pas arriver dénudé devant quelqu’un. Mais après, c’est de la curiosité, et ce sont des personnes qui ont été très réceptives afin de partager leurs histoires. Les photographes mexicains sont plus centrés sur la lutte en tant que sport, les mouvements. Peu de personnes ont fait un travail documentaire là-dessus, à part Lourdes Grobet, qui est décédée récemment, et qui est la première à être allée dans la maison des lutteurs. C’est un peu un hommage à son travail. On est très peu à faire ça, donc elles sont à l’écoute. Il est rare que les gens refusent, quand on se pose pour comprendre, découvrir leurs vies et s’intéresser à eux, quelle que soit leur timidité. Mon but, c’est de raconter leurs histoires. Ça a été compliqué, mais pas dans le sens où elles ne voulaient pas. Ça a été compliqué parce qu’il a fallu y aller, parler, se faire accepter, avoir la chance qu’elles répondent. Quand tu contactes une personne qui a 200 000 followers sur Instagram, c’est compliqué. Donc avec le temps, je me suis fait accepter en allant le vendredi, samedi, dimanche, lundi à des luchas, en rencontrant le directeur, un mec d’un média marié à une lutteuse qui me donne le contact d’une autre copine, etc. C’est vraiment de l’aventure et de l’enquête, mais je suis encore en contact avec elles, et elles sont hyper fières de ce travail. »

 

 

Théo Saffroy – Reines du Ring
Jusqu’au 24 août
Entrée libre

 

 

Point Éphémère
200 quai de Valmy, 75010 Paris
pointephemere.org

 

 

– Retrouvez d‘autres expositions à découvrir ce mois-ci dans l’est parisien –

 

 


Cet article vous a été utile ? N’hésitez pas à lire notre appel à solidarité et à nous soutenir pour permettre à Paris Lights Up de rester accessible au plus grand nombre !


 

 

Texte & questions : Jérémy Torres

 

Photographies : Œuvre extraite de l’exposition ‘Reines du Ring’
© Théo Saffoy

 

 

Laisser un commentaire