Malgré un “risque d’expulsion imminent”, la lutte continue au cinéma La Clef

Expulsables à tout moment après deux ans et demi d’occupation, les équipes qui font vivre le dernier cinéma associatif de Paris ouvrent quotidiennement ses portes au public pour défendre “une création et une diffusion cinématographiques libres et audacieuses”.

Depuis le 1er février, les occupants de La Clef savent que chaque nouveau jour peut être synonyme d’expulsion par la préfecture de police. Leurs nombreux soutiens sont désormais invités à se mobiliser en assistant aux projections à prix libre organisées quotidiennement de 6h du matin à minuit, avec une programmation ambitieuse et variée réunissant des grands noms de la création indépendante comme de jeunes cinéastes. Depuis son occupation illégale par un collectif en septembre 2019, le cinéma du 5e arrondissement a déjà accueilli plus de 500 nouvelles séances, réunissant 15 000 spectatrices et spectateurs.

L’avenir de La Clef, salle inaugurée en 1973, était bien déjà incertain. Son propriétaire actuel, la CFE-CGC “à la tête du comité d’entreprise de la Caisse d’Épargne” en Île-de-France, entend donner suite au compromis de vente signé avec le groupe SOS, une opération chiffrée à 4,2 millions d’euros. En janvier, une plainte a été déposée contre la préfecture de police de Paris afin d’accélérer les procédures d’éviction, redoutées de longue date par les occupants, après la décision du tribunal administratif “enjoi[gnant] à l’État de délivrer le concours de la force publique”. D’après le collectif Home Cinema et la centaine de bénévoles qui animent aujourd’hui le lieu, son rachat par “l’entreprise sociale” fondée et dirigée par Jean-Marc Borello, également délégué général adjoint du parti La République en Marche, signifierait la fin d’une histoire dédiée à la défense du cinéma indépendant.

Dans une tribune publiée sur Libération et co-signée par de nombreuses figures du cinéma hexagonal (Jeanne Balibar, Xavier Beauvois, Jonathan Cohen, Agnès Jaoui, Céline Sciamma, Claire Simon…) et même international (Kleber Mendonça Filho, Apichatpong Weerasethakul), les occupantes et occupants de La Clef jugent que “l’acheteur, le groupe SOS, géant de l’économie dite “sociale et solidaire”, fort d’un milliard d’euros de chiffre d’affaires annuel, est tout aussi pressé de récupérer le bâtiment, stipulant dans sa promesse d’achat que la vente ne serait effective qu’une fois notre collectif mis dehors. Seulement, ce rachat, n’apportant aucune garantie juridique dans la poursuite de l’activité cinématographique de La Clef, signerait la mort de ce cinéma historique, et l’arrêt de deux ans et demi d’une occupation inédite, créative et solidaire”.

Depuis que nous occupons les lieux, nous avons œuvré, bénévolement, à faire de La Clef un espace tout à la fois de découverte, de rencontres, et de création, indispensable dans un contexte où la culture est sans cesse brimée par l’impératif économique et par la crise sanitaire”, explique le collectif. La mairie n’étant pas intervenue à temps pour préempter les lieux, les cinéphiles ambitionnent aujourd’hui de reprendre directement en main le cinéma. “Nous administrons un fonds de dotation comptant plus de 100 000 euros de donations de particuliers, et de plusieurs promesses de dons de différents mécènes. Ce mode d’acquisition nous permettrait de racheter les murs sans impact sur le fonctionnement actuel du cinéma. Ainsi, La Clef resterait indépendante et ne serait plus un simple produit sur le marché de la spéculation immobilière. Sa programmation éclectique et collective, sa pratique du prix libre seraient préservées sur le long terme, en veillant à ce que les lieux restent gérés par une association à but non lucratif”, indique la tribune. Près de 2 000 personnes ont déjà participé à l’appel à solidarité lancé en 2020.

La grande salle de 120 places est quasiment pleine en ce soir de semaine pour la projection du touchant documentaire Alimentation générale (2005), réalisé par Chantal Briet à l’ombre des tours d’Épinay-sur-Seine (Seine-Saint-Denis). Un bel hommage à ces “espaces de partage”, où celles et ceux qui composent la mosaïque d’un quartier se retrouvent pour se rencontrer, échanger, et parfois lutter côte à côte. Le public est particulièrement jeune, étudiantes et étudiants en cinéma côtoyant tout un échantillon du voisinage, et du Paris des salles obscures. De nombreux bénévoles demeurent sur place en permanence : au rez-de-chaussée de cette adresse de 600 mètres carrés, des tables, des canapés, et même une buvette ont été installés. Si le café a ses avantages pour la séance de 6 heures, la tireuse à bière rencontre un succès certain lors des projections du soir.

À deux pas du jardin des Plantes et de la rue Mouffetard, les équipes de La Clef ont également mis en place un programme de formations, organisent des ateliers, et ont accueilli à plusieurs reprises de jeunes cinéastes – cinq films ont ainsi été produits sur place. “La résidence de création du Studio 34 nous a permis de nouer des liens précieux et de collaborer avec de nombreuses associations et sociétés de production œuvrant à promouvoir la création émergente, faisant de La Clef une véritable matrice du cinéma de demain”, assure le collectif d’occupants. “C’est un espace de création et d’apprentissage au sein de notre modèle associatif, où les moyens techniques, l’entraide, et les savoir-faire sont partagés au plus grand nombre.”

Après avoir reçu de très nombreux soutiens ces deux dernières années, la mobilisation ne semble montrer aucun signe d’épuisement face aux nouveaux écueils qui se dressent sur sa route. Devant une situation de plus en plus critique, comment aider La Clef et encourager ses activités pour défendre “un cinéma de quartier et une création indépendante” ? Au-delà des dons au fonds de dotation Cinéma Revival précédemment évoqué, le collectif offre quelques suggestions : “venez au séances, rencontrez-nous, suivez-nous sur les réseaux sociaux, et parlez de La Clef Revival autour de vous !” L’équipe de bénévoles propose aussi de laisser son numéro de téléphone “pour être averti·e en cas d’expulsion et ainsi venir manifester votre soutien devant le cinéma”. Le risque étant encore plus grand à l’aube, les cinéphiles sont vivement encouragés à découvrir la programmation matinale du lieu. Cette semaine, les séances “café, croissants, et projections” de 6h débuteront avec L’Été de Kikujiro (1999), du cinéaste japonais Takeshi Kitano.

 

Appel aux dons de La Clef Revival

 

 

La Clef
34 rue Daubenton, 75005 Paris
laclefrevival.com

 

 

Photographies : Le cinéma La Clef en février 2022 – Paris 5e
© Paris Lights Up

 

 

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