Un rassemblement était organisé ce mardi soir à la station de métro Charonne (11e arrondissement) en mémoire des victimes des violences policières survenues il y a soixante ans, au cours de la manifestation du 8 février 1962.
Quelques mois après le massacre du 17 octobre 1961 dans les rues de la capitale, un nouvel épisode de brutalité policière vient endeuiller le camp de la paix en Algérie. Malgré le contexte de l’état d’urgence décrété en avril 1961 et les mesures d’interdiction des rassemblements politiques, les cortèges prennent de plus en plus d’ampleur pour demander la fin des combats et des mesures plus résolues contre les violences de l’OAS.
Le 8 février 1962, une manifestation contre la guerre et l’organisation terroriste putschiste est prévue en réaction aux attentats commis par cette dernière la veille à Paris. Entre 1961 et 1962, l’OAS fera près de 2 200 victimes en Algérie, et 71 morts et 394 blessés en France. Lancé à l’initiative des syndicats CGT, CFTC, FEN, UNEF, et du Parti communiste français (PCF), l’événement rassemble des milliers de participants, avec plusieurs cortèges tentant de converger vers la place de la Bastille. La réunion ne se fera jamais, les appels à la dispersion de la police en début de soirée laissant très rapidement place à une répression sauvage.
Neuf manifestants sont tués à l’entrée ou à l’intérieur de la station de métro Charonne, poursuivis et matraqués jusque dans les couloirs souterrains. Toutes les victimes étaient membres de la CGT, toutes à une exception près adhérentes du PCF. Trois étaient travailleurs du journal L’Humanité, et trois étaient des femmes. Daniel Féry, plus jeune personne à perdre la vie, avait seulement 15 ans. La répression fait également de très nombreux blessés. La préfecture de police est alors dirigée par le sinistre Maurice Papon, toujours en poste malgré les morts du 17 octobre.
Cinq jours plus tard, le 13 février 1962, le cortège funèbre des victimes est accompagné de centaines de milliers de personnes, parties de la bourse du Travail près de la place de la République pour rejoindre les hauteurs du cimetière du Père Lachaise (20e arrondissement). Les défunts y reposent désormais, à deux pas du mur des Fédérés. Un hommage est organisé chaque année sur le parvis de la station Charonne, depuis renommé Place du 8 février 1962.
.
.
Plusieurs centaines de personnes étaient réunies ce mardi 8 février, dès 17h30, pour commémorer les soixante ans de ce drame et demander justice face à la violence d’État qui l’a motivé. Lancé à l’appel de la CGT, du PCF, et de l’association pour les victimes de Charonne, le rassemblement était plus étoffé que les années précédentes, nécessitant une fermeture partielle du boulevard Voltaire aux véhicules motorisés.
Derrière une estrade dressée sur le trottoir, plusieurs personnalités prennent tour à tour la parole : la psychanalyste Delphine Renard, gravement blessée le 7 février 1962, à l’âge de 4 ans, par un attentat de l’OAS visant son voisin d’alors André Malraux, Jean-François Gavoury, président de l’association nationale pour la protection de la mémoire des victimes de l’OAS, François Vauglin, maire (PS) du 11e arrondissement, Fabien Roussel, secrétaire national du PCF et candidat à l’élection présidentielle d’avril prochain, et Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT.
S’accordant pour juger trop insuffisantes les déclarations matinales du président de la République, les trois derniers orateurs ont rendu hommage aux victimes avant de rappeler le rôle historique des forces de progrès face aux nouvelles menaces fascistes, et l’importance d’une unité des travailleuses et des travailleurs contre le retour des adeptes de Maurras et Pétain. “Plus que jamais il faut qu’on soit vigilants, mobilisés, pour ne pas oublier, mais surtout pour préparer l’avenir, un avenir sans racisme, un avenir de fraternité”, a souhaité Philippe Martinez auprès de l’Humanité.
“La deuxième chose, c’est qu’on n’oublie pas les circonstances de ces morts et de ces blessés, c’est un crime d’État, préparé sous l’égide du ministre de l’intérieur [Roger Frey] et du préfet de police [Maurice Papon]. La répression anti-manifestations, elle existe toujours, on l’a vu dans la dernière période”, a jugé le représentant de la CGT. “Malheureusement, l’État n’a toujours pas reconnu son crime, et on ne saurait se contenter d’un communiqué de cinq lignes de l’Elysée pour commémorer ces soixante ans du massacre de Charonne.”
Ce 8 février tragique est tout un symbole. Luttes pour la paix et la solidarité entre les peuples, combats contre l’extrême-droite, les reflux colonialistes, et les violences policières. Un événement qui, pour ce qu’il représente, surtout à quelques mois d’échéances électorales majeures, aurait mérité de réunir et d’associer plus largement l’ensemble des syndicats progressistes et formations politiques de gauche.
Dans le cadre des commémorations, un dépôt de fleurs sur la tombe des victimes aura lieu dimanche 13 février à 11h. Une exposition dédiée à la répression de Charonne et à ses conséquences, organisée sous le commissariat scientifique de la présidente du Comité d’Histoire de la Ville de Paris, Danielle Tartakowsky, se tient par ailleurs jusqu’au 19 mars sur le parvis de la mairie du 11e arrondissement. Également visible en ligne, elle “propose de retracer les événements, d’en sonder la mémoire et d’en éclairer les enjeux”.
.
.
Photographies © Paris Lights Up
.
.