Rénovation du Palais de la Porte dorée : une occasion inédite pour repenser ce lieu en profondeur

Le Palais de la Porte dorée, construit à l’occasion de l’effroyable exposition coloniale de 1931, va bénéficier d’une rénovation chiffrée à près de 6 millions d’euros. Cette refonte pourrait être l’opportunité de définir un nouvel horizon pour ce lieu en bordure du bois de Vincennes (12ème arrondissement) qui abrite aujourd’hui le Musée national de l’histoire de l’immigration.

D’après les informations du Parisien, ce sont au moins 5,7 millions d’euros qui seront investis pour cette transformation qui devrait s’achever en 2022 : 4,5 millions d’euros pour son “aquarium tropical”, et 1,2 millions d’euros pour le Musée de l’immigration. Le site est par ailleurs l’un des principaux bénéficiaires du plan de relance pour la rénovation des bâtiments publics validé en décembre 2020. L’enveloppe étatique permettra notamment l’amélioration de l’accessibilité aux personnes handicapées, “le raccordement du bâtiment au réseau de chauffage urbain parisien”, et “la réfection et l’isolation” des toitures et de leurs accès. En 2019, le Palais de la Porte dorée a reçu près de 526 000 visites, la majorité d’entre elles concernant l’aquarium.

L’établissement public accueillera également un nouveau directeur le 1er mars prochain : Pap Ndiaye, professeur et chercheur spécialiste de l’histoire des États-Unis et des minorités. Sa feuille de route consistera notamment à “sensibiliser la population française au rôle de l’immigration dans la construction de la France ». La nomination d’une personnalité légitime à ce poste est de toute évidence une bonne nouvelle : elle devrait permettre d’éviter les graves erreurs de jugement du passé, comme l’incompréhensible exposition dédiée aux chaussures de Christian Louboutin organisée l’an dernier. Dans un article du quotidien Libération, des employés du Musée de l’immigration avaient alors confié leur malaise quant à ces “choix éditoriaux éloignés de sa mission d’origine, au profit d’une course à la fréquentation”.

Certains souhaiteraient visiblement l’oublier, mais il est nécessaire de rappeler que ce lieu fut à l’origine pensé comme un outil de propagande coloniale et impérialiste. Nous l’évoquions encore il y a quelques mois : il subsiste aujourd’hui peu de monuments parisiens chargés d’une histoire aussi sombre. Les expositions coloniales de 1907 et 1931 furent organisées sur le périmètre du bois de Vincennes voisin, leurs épouvantables « zoos humains » rassemblant alors des millions de visiteurs français. Du Palais de la Porte dorée aux sinistres pavillons du jardin tropical, il demeure tant à faire en ces lieux pour rendre les hommages qui s’imposent aux innombrables victimes de la colonisation.

Dans une description présente sur le site du musée, l’exposition de 1931 est pourtant décrite en des termes aussi ambigus que discutables : elle est ainsi qualifiée “d’exotique, démesurée et fascinante”. Ailleurs, on évoque “les pans moins glorieux” de la colonisation, comme si certains aspects de l’exploitation et de l’asservissement systématisés d’êtres humains par une puissance impérialiste et brutale pouvaient être glorieux. Un paragraphe auparavant, le texte rappelle au sujet de l’exposition “qu’il s’agissait, malgré tout, d’exhiber des hommes et des femmes pour mieux affirmer le pouvoir de la France sur ces derniers”. Un établissement public peut-il assumer pareilles contradictions ? Visiblement, un important travail de mémoire reste paradoxalement à accomplir au sein même de l’institution censée représenter ce terrible souvenir.

Une autre dimension du Palais de la Porte dorée nous semble aujourd’hui problématique, et c’est malheureusement celle qui rassemble aujourd’hui le plus grand nombre de visiteurs du site. Également ouvert en 1931 et bientôt entièrement rénové, son aquarium tropical rassemble ainsi “15 000 animaux et 750 espèces”, dont certaines rares et menacées. Comme ailleurs, ne serait-ce qu’à la ménagerie du jardin des Plantes, la taille et le confort des espaces abritant ces nombreux poissons et autres individus apparaissent particulièrement limités. On pense ainsi à Laury et Dundy, deux alligators albinos du Mississippi accueillies en 2008 et habituellement hébergées dans un minuscule enclos circulaire, ce dernier étant actuellement en travaux.

Comment penser une seule seconde que ces êtres vivants puissent être épanouis, aussi éloignés de l’environnement naturel qui devrait être le leur ? La communication de l’aquarium a beau évoquer un “grand enclos”, les images et les faits démontrent le contraire à tout observateur doté d’un minimum d’honnêteté. Comme cela avait été souligné par les associations puis la municipalité elle-même dans le cas de la fermeture du “marché aux oiseaux” de l’île de la Cité, l’aquarium tropical de la Porte dorée représente sous bien des aspects un “vestige d’un autre temps”. Le site relève certes de la compétence de l’État, mais il est situé sur le territoire de la capitale, dans un lieu fréquenté par les Parisiennes et les Parisiens. Depuis juin dernier, le 12ème arrondissement est dirigé par une maire écologiste, Emmanuelle Pierre-Marie. Nous espérons qu’elle saura se montrer sensible à cette contradiction évidente avec l’intérêt grandissant accordé par la ville de Paris, et par celles et ceux qui y vivent, à la thématique de la condition animale.

Au-delà des conditions mêmes de captivité, n’y a-t-il pas également quelque chose d’obscène à se divertir du spectacle d’animaux enfermés en ce lieu spécifique ? Ce mélange des genres est gênant à plus d’un égard. De par son origine même, le Palais de la Porte dorée ne devrait pas être dédié à la “récréation”, des enfants comme des adultes – nous pensons ici à la “joyeuse terrasse estivale” vantée l’an dernier par l’institution, un endroit où l’on pourrait “partager des moments de convivialité et de bonne humeur”. Nous avons beaucoup de mal à croire que des personnes directement concernées par l’histoire de la colonisation aient pu être consultées avant la rédaction de tels propos.

Qu’il s’agisse de ces problématiques des plus actuelles ou des exigences liées au travail mémoriel qui s’imposent plus largement, les travaux en cours ne devraient donc pas se limiter à une rénovation simplement matérielle. Il n’y a aucun mal à s’interroger sur les aspects les moins reluisants de notre histoire nationale : cela nous semble même au contraire contribuer à un processus de guérison nécessaire. En Allemagne ou aux États-Unis, plusieurs institutions muséales dédiées aux horreurs de l’esclavage, de la ségrégation ou du nazisme ont su relever ce défi avec brio. Il est également urgent de s’inquiéter du maintien de pratiques anachroniques dans un lieu synonyme d’une histoire aussi tragique. La rénovation et le changement de direction parallèle nous semblent à même d’ouvrir un temps de réflexion opportun pour redéfinir en profondeur à la fois la fonction et l’esprit du Palais de la Porte dorée.

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Simon Thollot
Rédacteur en chef

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Photographie d’illustration : La façade du Palais de la Porte dorée en octobre 2020.
©
Paris Lights Up

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