Retraites et inégalités : L’heure de la rue

La France prend la rue ce jeudi pour s’élever contre le cynique projet d’allongement de la durée de cotisation signé par le gouvernement. Alors que les inégalités vont toujours croissantes, le débat des retraites peine désormais à dissimuler celui de la répartition des richesses.

Ce 19 janvier marque la première journée de grève et de mobilisation interprofessionnelle contre le projet de réforme des retraites présenté la semaine dernière par la Première ministre. Rejetée par une très large part des Françaises et des Français, une modification de la législation qui viserait à augmenter le nombre d’années de cotisation – et donc de travail – n’a rien d’inéluctable : derrière les discours de logique ou de comptabilité, sa possibilité relève au contraire de choix éminemment politiques.

Au regard de son utilité sociale, il est aberrant qu’un système comme celui des retraites puisse être démantelé au nom d’injonctions mensongères nourries de privilège, qu’elles émanent du gouvernement, du patronat, ou des plus fortunés. Le coût nécessaire à son fonctionnement n’a en effet rien d’aberrant, d’autant plus que le volume de richesse disponible n’a jamais été aussi abondant. L’argent, il y en a, quand on sait où en trouver. Actualité oblige, difficile de berner plus longtemps la majorité en tentant de dissimuler une réalité dans laquelle certains possèdent des flottes d’avions privés et collectionnent les enseignes et les entreprises comme d’autres les timbres.

Même à court terme, les leviers d’action ne manquent pas. Leur activation permettrait même bien plus que de simplement renforcer le système de retraites existant. Parmi les possibilités les plus évidentes figurent la mise en place d’une imposition à la hauteur des abus des plus riches et des grandes fortunes, une lutte enfin efficace contre l’évasion fiscale et les sournoiseries des multinationales, et la taxation des profiteurs de crise qui n’ont cessé d’améliorer leurs marges tandis que la précarité progresse et s’enracine.

Au-delà des retraites, la confrontation actuelle apparaît comme un test social. Elle marque l’opposition entre deux visions, deux idées de société : celle de la continuation d’un modèle qui a guidé l’épuisement des ressources planétaires, appauvri les jeunes générations, et progressivement éteint les espoirs de lendemains plus radieux, ou celle d’une rupture, fondée sur le souhait de voir émerger un quotidien basé sur une juste répartition des richesses, sur le refus de voir encore longtemps cohabiter les fortunes les plus obscènes et la misère la plus criante.

Les affrontements entre ces deux visions sont déjà à l’œuvre dans la capitale et sa région. C’est notamment le cas autour du logement, domaine dans lequel certains n’ont aucune honte à ériger le parasitisme en modèle économique alors qu’en parallèle les loyers compriment toujours plus les budgets des ménages modestes, que des dizaines de milliers d’appartements restent vides alors que des enfants dorment encore à la rue. C’est le cas autour des transports, qu’une nouvelle vague de privatisations rendra toujours plus coûteux tout en exacerbant la dégradation des conditions de service aux usagères et usagers. C’est le cas dans la santé, dans l’éducation, et dans tous les autres services publics en manque urgent de moyens.

Cette lutte est bien impossible à ignorer dans une capitale qui concentre et reflète à ce point les inégalités, qui s’en fait une fois encore le miroir historique. À Paris et dans sa région, comme ailleurs dans le pays et par-delà ses frontières, tant de travailleuses et des travailleurs sont condamnés à rester et mourir pauvres, malgré les nuits sans sommeil et les corps meurtris, tandis que d’autres n’ont qu’à hériter et vivre de leurs rentes, coulant entre deux séjours dans leurs résidences secondaires des jours tranquilles à l’abri du besoin.

À l’abri du besoin, toutes et tous devraient l’être : c’est encore le message des grèves et manifestations qui feront résonner les rues de l’est parisien et des autres villes du pays ce jeudi. Face à des logiques de comptables pour lesquels seule semble importer l’accumulation des richesses, elles seront l’occasion de faire entendre d’autres voix. De répéter que nos existences valent mieux que d’enrichir plus encore les gagnants de la grande loterie que constitue une telle société. Qu’elles sont faites pour être vécues, pratiquer les loisirs qui nous comblent, admirer la nature comme les créations humaines, partager du temps avec ses proches. Qu’à l’exact contraire des prétentions du gouvernement et des possédants, c’est à une logique de réduction du temps et de la durée de travail que l’on peut aujourd’hui aspirer.

 

 

Photographie d’illustration : Manifestation du 1er mai 2022
© Paris Lights Up

 

 

 

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