Plusieurs dizaines de locataires d’immeubles RIVP du boulevard Davout et de la rue Louis Ganne (20e arrondissement) se sont rassemblés ce samedi après-midi pour interpeller leur bailleur au sujet des problèmes d’insalubrité croissants auxquels ils sont confrontés.
Traces de moisissures, murs noircis par l’humidité, cadavres de rongeurs : le “vernissage” d’une exposition d’un genre bien particulier était organisé samedi sur les grilles du 158 boulevard Davout, un immeuble construit dans les années 1930 et géré par la Régie immobilière de la ville de Paris (RIVP), bailleur en charge d’une grande partie des logements sociaux aux portes de la capitale. Des locataires des voies adjacentes, les rues Louis Ganne et Jean Veber, se sont également joints à cette mobilisation visant à dénoncer les conditions d’insalubrité dont souffrent aujourd’hui bon nombre d’habitants des résidences concernées, qui rassemblent près de 400 appartements.
Après une subvention de 5 millions d’euros votée en conseil de Paris en 2013 dans le cadre du “plan Climat” en vue d’un “programme de réhabilitation global”, les immeubles surplombant le boulevard Davout ont été intégrés à deux projets urbains de grande ampleur : “les Portes du 20e”, qui s’étend de la porte Bagnolet toute proche à la porte de Montreuil, à un kilomètre de distance plus au sud, et la ZAC Python-Duvernois, qui comprend aussi une demi-douzaine de barres d’immeubles en bordure du périphérique. En 2014, les « Portes du 20e » ont été sélectionnées parmi les 200 quartiers de priorité nationale du NPNRU (Nouveau Programme National de Renouvellement Urbain) « compte-tenu de la forte concentration des difficultés sociales, économiques et urbaines de ce territoire ». Cette enveloppe étatique a permis au budget de la ZAC Python-Duvernois d’atteindre près de 300 millions d’euros.
Malgré ces nombreuses annonces, et dans l’attente de rénovations “enfin à la hauteur”, les témoignages des locataires dépeignent un quotidien devenu de plus en plus difficile au fil des années. Habitante d’un appartement de la rue Louis Ganne depuis près de quinze ans, Mme M. décrit des journées gâchées par “l’humidité, la mauvaise isolation : quand la voisine tire sa chasse d’eau ou se douche, tu l’entends de l’autre côté”. Constatant tout comme ses voisines et voisins la présence croissante d’insectes et de rongeurs dans son immeuble – bon nombre de résidents ont d’ailleurs fini par adopter un chat – elle se plaint aussi “de mauvaises odeurs qui remontent, avec de grosses mouches. On a pas envie de recevoir sa famille, ni ses voisins, ni ses amis, on a des enfants qui grandissent dans des conditions déplorables. Ça nous stresse, ça nous met en colère !”, poursuit-elle en rappelant l’impact de ces nuisances sur la santé physique comme mentale.
Comme nombre de quartiers aux portes de la capitale, Python-Duvernois cumule bien des difficultés. Publiée en décembre 2018, l’étude d’évaluation des impacts sur la santé du projet « Les Portes du 20e » précise ainsi que le taux de pauvreté y atteint 36%, en comparaison de 22% en moyenne dans l’arrondissement. Le diagnostic est sans appel : bas revenus pouvant conduire à des renoncements aux soins (avec 39% de familles monoparentales contre 24% dans le 20e), précarité énergétique, suroccupation des logements, problèmes de santé respiratoire, et même surmortalité hivernale. Le secteur présente par ailleurs une faible densité commerciale, avec alors 8 commerces pour 1 000 habitants (29 en moyenne à Paris).
L’impact de l’autoroute urbaine qu’est le boulevard périphérique sur la santé des habitants apparaît comme une injustice particulièrement amère ; d’après le rapport de présentation du projet, « le secteur Python-Duvernois se caractérise par des taux de motorisation très faibles sur le territoire parisien (moins de deux voitures pour cinq ménages en moyenne). » Pourtant, la cartographie 2015 du bruit routier à Paris place ses habitants « dans les 4,4% de la population parisienne soumise à des niveaux de bruit supérieurs à 70 décibels ». De même, « la valeur limite des concentrations d’oxyde d’azote (NO2) est dépassée » en bordure d’îlot, le long du périphérique et du boulevard Davout, que surplombent les appartements des locataires rassemblés en cette fin d’après-midi.
Un RDV avec le bailleur prévu ce lundi 31 octobre
Représentante de la circonscription à l’Assemblée, la députée (NUPES-FI) Danielle Simonnet est en contact avec les habitantes et les habitants depuis juin 2022 – ses équipes ont d’ailleurs contribué à coordonner le rassemblement du jour, recueillant les clichés d’appartements insalubres et invitant la presse à visiter ces derniers. Décrivant “un sentiment d’abandon catastrophique”, l’élue a adressé des courriers aux responsables de la RIVP pour lister les problèmes rencontrés sur place, et les alerter quant à une “situation [qui], en plus de nuire au bien-être physique des locataires, nuit à l’équilibre des familles, aux relations dans les foyers, ou dans le voisinage”. Devant une cinquantaine de résidents, elle se félicite de “la détermination des locataires de ce groupe d’immeubles” en leur annonçant “une première bonne nouvelle” : l’obtention d’un rendez-vous avec les équipes du bailleur, dans l’après-midi du lundi 31 octobre. Plusieurs personnes lèvent rapidement la main afin de se porter volontaires pour y représenter le collectif.
À l’angle du boulevard Davout et de la rue Louis Ganne, occupantes et occupants des bâtiments se succèdent au mégaphone afin de faire entendre leur exaspération et leurs attentes. L’une d’elle, assurant avoir à “tuer jusqu’à 20 à 30 cafards par jour”, regrette de ne plus pouvoir recevoir ses proches. Selon elle, le bailleur ne remplit pas ses missions d’entretien des immeubles. “Moi, je suis arrivée sans cafards, sans souris. C’est pas à moi de prendre en charge la propreté collective. Quelle énergie c’est, de devoir tout calfeutrer chez soi, toutes les portes et chaque latte de parquet !”, s’indigne-t-elle. “Heureusement il y a mon chat !” s’amuse presque celle qui affirme avoir dépensé “plus de 1 000 euros en un an” en matériel et produits d’hygiène et de protection afin de faire face aux diverses nuisances énumérées. Elle partage avec l’assistance le sentiment que les travaux menés ces dernières années, notamment sur l’immeuble de la rue Louis Ganne (“juste sur les façades, rien à l’intérieur !”), s’avèrent largement insuffisants pour améliorer le quotidien des locataires.
Pas de travaux majeurs programmés avant 2024
“Il est nécessaire qu’il y ait vraiment une rénovation, complète, pas juste une petite entreprise qui vient mettre un petit coup de ciment, un petit coup de joints de silicone par-ci, par-là. Avec une vraie isolation thermique, ainsi qu’une isolation phonique, pour qu’il n’y ait plus ces condensations sur les murs, ces moisissures qui apparaissent. Nous avons besoin d’une réelle écoute, de réels engagements de la RIVP”, conclut cette résidente. Alors que des travaux de rénovation thermique sont prévus pour 2024 dans les immeubles concernés, la directrice générale du bailleur, Christine Laconde, assure que des “mesures d’urgence” seront mises en place en fonction des situations individuelles des habitants, avec recours à des “entrepreneurs” pour effectuer des travaux localisés en amont de la réhabilitation de l’ensemble.
Les travaux d’envergure de la ZAC Python-Duvernois, qui avait déjà été le cadre d’une autre mobilisation de locataires il y a deux ans, devraient par ailleurs avoir lieu entre 2023 et 2028. Un calendrier qui laisse les résidentes et les résidents entre impatience et espoirs. “Si aujourd’hui on se mobilise pour parler [à la RIVP], c’est que vraiment on en a marre”, regrette une autre habitante, qui réside depuis 2006 dans un 49 mètres carrés de la rue Jean Veber. “S’il vous plaît, écoutez nous, pensez à nous, sachez qu’on souffre énormément”, conclut avec émotion cette mère de quatre enfants en demandant des travaux au plus vite, et des solutions de relogement pour les ménages qui le souhaitent.
“C’est pas normal qu’on doive en arriver là pour qu’ils fassent leur boulot”, se lamente un jeune homme qui a passé l’essentiel de sa vie sur place, établissant une véritable liste chronologique des problèmes d’insalubrité et de nuisances rencontrés par sa famille depuis son installation. L’une de ses voisines, occupante de son immeuble depuis près de trente-cinq ans, a opté pour un recours juridique en vue d’obtenir une réaction et des compensations du bailleur. Alors que le rassemblement bat son plein, elle se réjouit de constater que la mobilisation réunit un nombre croissant de locataires. “Nous sommes une communauté : quels que soient notre statut, notre religion, notre nationalité, nous sommes des humains et nous devons vivre décemment”, conclut-elle sous des applaudissements nourris. Même s’ils savent que leurs épreuves sont loin d’être terminées, beaucoup espèrent que la médiatisation de ce quotidien d’insalubrité et ce premier contact direct avec la RIVP leur permettront “d’être enfin entendus”.
Photographies : Rassemblement de locataires du 29 octobre 2022 au carrefour du boulevard Davout et de la rue Louis Ganne, Paris 20e.
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