Une manifestation était organisée samedi dernier aux abords de la Ménagerie du jardin des Plantes (5ème arrondissement), inaugurée en 1794 comme le premier parc zoologique parisien. Dénonçant “la vétusté et l’exiguïté des installations”, les associations participantes demandent leur transformation en “un véritable lieu éducatif et scientifique, sans animaux”.
Après avoir figuré parmi les organisations les plus actives pour obtenir l’interdiction des cirques avec animaux sauvages, une mesure approuvée en 2019 en conseil de Paris et reprise l’automne dernier par le gouvernement, Paris Animaux Zoopolis (PAZ) a pu constater ce samedi l’intérêt croissant suscité par une autre de ses campagnes : “Tourner la page de la Ménagerie”. Ces trois dernières années, l’association parisienne de lutte pour la condition animale a mené près d’une trentaine d’actions aux abords du jardin des Plantes et du Muséum auquel elle est rattachée, principalement des rassemblements statiques avec banderoles et pancartes visant à informer les passants et les visiteurs. Elle est aussi à l’origine d’une pétition appelant à la fermeture du parc zoologique : cette dernière totalise aujourd’hui plus de 60 000 signatures.
Pour cette nouvelle manifestation, PAZ a joint ses forces à celles de l’association One Voice, connue pour ses alertes et révélations autour des conditions de captivité dans les cirques ou les delphinariums. Les défenseurs des animaux ont aussi bénéficié du soutien de L214, et du renfort de représentants de la France insoumise et du Parti animaliste, les deux mouvements s’étant par ailleurs alliés dans le cadre des élections régionales en Île-de-France. Près de 150 personnes étaient présentes dans le cortège qui s’est élancé dans les rues entourant le jardin des Plantes – une affluence record pour une action des associations devant la Ménagerie, qu’elles considèrent comme “le triste témoin d’un passé révolu”.
Datant de la Révolution française, ce qui en fait le second plus vieux parc zoologique du monde après celui de Schönbrunn à Vienne, elle occupe aujourd’hui le quart nord-est des jardins du Muséum, sur un surface de 5,5 hectares. La Ménagerie a connu bien des évolutions à travers sa longue histoire – constants réaménagements architecturaux, extension majeure en 1860, addition du parc zoologique de Vincennes qui recueille une partie de ses occupants en 1935… La plupart des structures actuelles datent du XIXème siècle et de la première moitié du XXème, et ont bénéficié d’un programme de réhabilitation devenu urgent à partir des années 1980. Vivarium, “Singerie”, “Fauverie”, abris et enclos : tous les bâtiments de la Ménagerie ont depuis été classés en tant que monuments historiques.
Les critiques du public et des défenseurs des animaux quant à l’exiguïté des installations ne datent pas d’hier : les rénovations entreprises depuis la fin du siècle dernier pour remédier à leur état de délabrement ont d’ailleurs été accompagnées d’une politique de réduction progressive du nombre d’espèces et d’individus en captivité, notamment les plus imposants (éléphants, rhinocéros, girafes, hippopotames), les fauves, ou les grands singes. Parmi ses quelques 500 occupants, la Ménagerie compte encore cependant trois espèces de panthères (des neiges, nébuleuses, et de Chine du Nord), des tamarins, des macaques à queue de lion, et cinq orangs-outans de Bornéo, dont la femelle Nénette. Née sur l’île en 1969, la doyenne du bâtiment dédié aux singes a été capturée jeune avant d’être transférée à la Ménagerie en 1972.
Les conditions de captivité de ces orangs-outans font débat depuis plusieurs années. Michel Saint-Jalme, biologiste spécialiste de la conservation et directeur de la Ménagerie depuis 2009, avait lui-même alerté les pouvoirs publics il y a cinq ans pour demander les financements nécessaires à l’extension de leur enclos, une transformation chiffrée à plusieurs millions d’euros. “Si dans un an, on n’a pas trouvé une solution, si on n’a pas de promesse de l’État, on ne pourra pas garder nos orangs-outans !”, expliquait-il alors au Parisien. Depuis, le projet visant à donner plus d’espace à Nénette et ses camarades ne s’est pas encore concrétisé, mais serait toujours envisagé par les équipes de Muséum. “Est-ce qu’il faut encore garder des grands singes en captivité ?” se questionnait pourtant Michel Saint-Jalme dans les pages du même journal en 2016.
Si le sort des orangs-outans retient l’attention du public, d’autres animaux souffrent eux-aussi du manque de place, et des limites architecturales d’abris et enclos conçus à une époque où la condition animale n’était pas la priorité qu’elle doit être aujourd’hui. Les participants au défilé de ce samedi citent ainsi la petite taille des volières, ou des espaces actuellement en rénovation conçus pour recevoir reptiles et amphibiens. Paris Animaux Zoopolis fait état de “conditions de captivité déplorables, surtout en raison de la vétusté et de l’exiguïté des installations, bien en dessous des ambitions généralement affichées par les zoos”. D’après Amandine Sanvisens, co-fondatrice de l’association, “les primates et les fauves n’ont pas accès à l’extérieur et ont toujours un toit au dessus de la tête, les oiseaux sont dans des cages minuscules, et les flamants rouges ont une partie des ailes coupées pour ne pas qu’ils s’évadent”.
Au-delà des critiques relatives aux “conditions de détention” des animaux, les manifestants venus “se battre pour que ce soit la dernière génération derrière les barreaux” s’accordent aussi sur la nécessité de repenser plus largement notre rapport aux autres espèces, et donc d’interroger le concept même des parcs zoologiques. “La vision des animaux que renvoie la Ménagerie est particulièrement désuète”, estime ainsi PAZ, qui appelle à “en finir avec ce rapport aux animaux voyeuriste et malsain, hérité du colonialisme. Tout n’est que mise en scène. D’une certaine manière, les animaux doivent faire le spectacle. Le public doit les voir en permanence.”
“En réalité, vous ne voyez pas des orangs-outans mais des prisonniers qui s’ennuient profondément et qui n’ont pas un comportement d’orang-outan. Vous n’allez pas voir des animaux mais des détenus à vie, qui n’ont pas le comportement propre à leur espèce. Nous sommes persuadés que parmi les chercheurs et les soigneurs de la Ménagerie, certains éprouvent un malaise à la vue d’oiseaux encagés ou d’orangs-outans enfermés en permanence à l’intérieur, derrière des vitres. Nous nous adressons aussi à ces personnes”, explique l’association.
Paris Animaux Zoopolis et One Voice interpellent aujourd’hui le directeur du Muséum national d’Histoire naturelle, Bruno David, ainsi que ses ministres de tutelle, Barbara Pompili et Frédérique Vidal, pour leur demander “d’amorcer une transition” avant de transformer la Ménagerie en “un véritable lieu éducatif et scientifique, sans animaux”, et en plaçant ces derniers “dans des sanctuaires adaptés où ils ne seraient plus exhibés”. Si l’institution met en avant sa vocation scientifique de conservation et son “rôle éducatif”, les manifestants préconisent aux autorités de prioriser “la protection des habitats et la lutte contre le braconnage” dans les pays d’origine des animaux menacés, “en soutenant massivement les organisations et programmes visant à lutter contre la déforestation afin de préserver les habitats”.
Les associations à l’origine de cette mobilisation soulignent enfin que les parcs zoologiques urbains et leurs enclos de taille réduite n’ont plus guère les faveurs du public. D’après une enquête Ifop réalisée pour Paris Animaux Zoopolis en janvier 2020 auprès d’un échantillon de 1 072 personnes, “65% de la population parisienne est favorable à la fermeture de la Ménagerie, le zoo du jardin des Plantes, et au placement des animaux dans des sanctuaires adaptés”. Cette proportion atteignait même 77% chez les Parisiennes et Parisiens de moins de 35 ans interrogés dans le cadre de cette étude.
Au vu de l’intérêt suscité par ses propositions, PAZ appelle aujourd’hui le conseil de Paris à “s’engager sur cette question et encourager le gouvernement à faire évoluer son zoo public”. Un vœu en ce sens de la conseillère (LFI) Danielle Simonnet, considérant que la Ménagerie “ne correspond pas à la conception que la ville de Paris se fait de sa relation avec les animaux », avait été rejeté en décembre dernier par l’assemblée parisienne après un avis défavorable de l’adjoint en charge de ce dossier, Christophe Najdovski, malgré le soutien des groupes écologiste et GIP. Les associations ne comptent pas se décourager pour autant : d’autres propositions liées à la condition animale (cirques sans animaux sauvages, construction d’un monument aux animaux de guerre) avaient elles aussi été écartées dans un premier temps, avant de finalement convaincre une majorité de représentantes et représentants parisiens lors de sessions suivantes. Alors que Nénette a fait son arrivée à la Ménagerie il y a 49 ans tout juste, le 16 juin 1972, les militants de la cause animale ne perdent donc pas espoir pour les générations suivantes.
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NDLR : Malgré des échanges, les équipes du Muséum et de la Ménagerie n’ont pas souhaité donner suite à nos questions et demandes d’informations dans les délais impartis.
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Photographie © PAZ
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