Après deux semaines de lutte, les travailleurs sans papiers d’un hôtel ibis de Bagnolet reconverti en centre d’hébergement d’urgence ont levé leur piquet de grève. La direction de l’association Coallia, qui avait recours à un sous-traitant, a promis de fournir les documents nécessaires à leur régularisation.
Réquisitionné par l’État à partir du premier confinement du printemps 2020 afin de mettre à l’abri des personnes sans domicile et vulnérables, l’établissement hôtelier de la porte de Bagnolet héberge encore aujourd’hui près de 400 personnes. La gestion de ce site voisin du boulevard périphérique et de l’autoroute A3 avait été confiée à l’association Coallia, spécialiste de l’accompagnement social, qui emploie aujourd’hui plus de 4 000 salariés et bénéficie de résultats financiers confortables. Son président était jusqu’à récemment Jean-François Carenco, nommé ministre délégué chargé des Outre-mer le mois dernier.
D’après les témoignages de personnels travaillant sur place, le groupe a principalement eu recours à la sous-traitance pour assurer le fonctionnement quotidien de l’établissement : distribution des repas, nettoyage des chambres et des espaces communs, tâches liées à la surveillance et la sécurité, voire assistance “aux démarches administratives”… Ce sont dix salariés ainsi “externalisés”, dont neuf sans papiers, qui avaient les premiers tiré la sonnette d’alarme, avant de débuter une grève le 20 juillet dernier pour dénoncer leur traitement et leurs conditions de travail.
Soutenus par la CGT, ces travailleurs accusent leur employeur direct, la SARL Gaba Global Service International – étonnamment créée à l’été 2020 – d’avoir versé des salaires bien inférieurs à ses promesses initiales. Des insuffisances de traitement accompagnées de retards majeurs, avec jusqu’à “cinq mois de salaires impayés”. Selon Le Monde, certains équipiers auraient perçu des rémunérations inférieures à 3,50 euros de l’heure depuis le début de l’année 2022. Les conditions de travail sont également en cause, avec des horaires à rallonge et un nombre de tâches à accomplir supérieur aux conditions initialement évoquées par l’employeur.
La mobilisation des équipes de l’ibis Bagnolet a reçu de nombreux soutiens, comme celui de responsables associatifs, de militants, et d’élus et de parlementaires locaux, comme la conseillère départementale (PCF) Émilie Lecroq, la députée de Paris (NUPES-LFI) Danielle Simonnet, ou le député de Seine-Saint-Denis (NUPES-LFI) Alexis Corbière. En permettant une médiatisation croissante de la situation des travailleurs sans papiers concernés, les actions de la CGT auront contribué à la conclusion d’un accord écrit après des négociations la semaine dernière. Se refusant naturellement au blocage du centre d’hébergement en raison de ses missions d’urgence, les représentants du syndicat étaient cependant présents sur place depuis le lancement de la grève. Pour eux, “l’élan de solidarité” constaté localement est “un engagement qui a aussi pesé dans le rapport de force”.
“S’agissant du volet de régularisation, les salariés se sont retournés vers le donneur d’ordre, Coallia, pour obtenir les documents nécessaires à la constitution d’un dossier. Une démarche légitime mais âpre, tant la culture des donneurs d’ordre dans ce type de situation est à la déresponsabilisation”, précise l’Union départementale CGT de Seine-Saint-Denis dans un communiqué publié le 6 août dernier. “Mais la détermination des ‘9 de l’hôtel social de Bagnolet’ aura amené Coallia à entendre les revendications des salariés”, se félicite l’antenne syndicale, qui évoque en particulier des “engagements écrits” du directeur général de l’association.
D’après ce dernier, les grévistes se verront fournir les documents Cerfa nécessaires aux démarches de régularisation, “des promesses d’embauches individuelles, et un courrier d’accompagnement pour chaque salarié lors du dépôt en préfecture […] précisant les fonctions, l’engagement, et le sérieux de chacun des salariés”. Les demandes de régularisation pourraient ainsi être effectives “dès le mois d’août”, aurait affirmé la direction de Coallia aux représentants syndicaux.
Si les dix grévistes ont bien exprimé leur “soulagement” après avoir levé le piquet de grève, leur combat devrait se poursuivre en conseil de prud’hommes afin d’exiger de la société sous-traitante le versement de l’intégrité des sommes qui leur sont dues, et de “faire respecter tous les aspects du code du travail”. Jusqu’à une éventuelle décision, “les heures supplémentaires, les heures de nuit et les week-ends, les congés payés continueront de manquer à l’appel”, regrette ainsi la CGT, qui estime que seul un tiers des salaires environ a jusqu’à présent été obtenu de Gaba Global Service International. “À la procédure prud’hommale, une intervention concernant une procédure pénale est loin d’être exclue. Jamais nous n’accepterons un quelconque sentiment d’impunité dans ce type d’affaire”.
Le cas du centre d’hébergement de Bagnolet est l’illustration des difficultés que rencontrent trop souvent ces “travailleurs de première ligne”, victimes d’employeurs peu scrupuleux tirant profit de la fragilité de leur situation. “Pour la régularisation des travailleurs sans papiers, la CGT continue de revendiquer la réouverture des guichets physiques en préfecture, la simplification des démarches, la régularisation de plein droit sur la base des preuves de travail (factures, fiches de paie, contrat, etc.). Nous réclamons la fin de cette injustice que constitue le bon vouloir des employeurs et des préfectures”, conclut l’Union départementale du syndicat dans son communiqué.
Photographie : Hôtel ibis Porte de Bagnolet, Seine Saint-Denis
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