Le Marais : Au Mémorial de la Shoah, les diplomates face au regard de l’histoire

Le Mémorial présente jusqu’au 8 mai prochain l’exposition Les Diplomates face à la Shoah, détaillant la passivité des chancelleries face à l’horreur nazie, mais aussi les résistances individuelles qui verront la reconnaissance de quarante diplomates en tant que Justes parmi les nations.

L’exposition « insiste sur l’articulation entre ce que les diplomates savaient et ce qu’eux-mêmes et leurs gouvernements pouvaient faire, ont fait, ou ont choisi de ne pas faire », malgré l’accumulation des preuves du génocide des Juifs d’Europe commis par le régime nazi et ses alliés. Avec plusieurs projections et rencontres au programme, l’événement représente également « une invitation à s’interroger sur le rôle actuel des diplomates, sur celui d’une instance internationale comme l’ONU, ou encore sur la délicate question du droit d’ingérence ». Des thèmes à la résonance particulière à l’heure tragique de l’invasion d’une démocratie européenne par son voisin, qui plus est sur un territoire marqué par les souffrances de l’ancien Yiddishland ici évoquées.

Le cycle Les Diplomates face à la Shoah est placé sous le commissariat scientifique de quatre historiennes et historiens : Claire Mouradian, directrice de recherche émérite au CNRS, Catherine Nicault, professeur d’histoire contemporaine à l’université de Reims, Jean-Marc Dreyfus, professeur à l’université de Manchester, et André Kaspi, professeur émérite à la Sorbonne. Au premier étage du lieu de mémoire, l’exposition appuie leurs recherches en présentant tour à tour des archives et documents d’époque, des projections, des photographies, et autres témoignages.

Les différentes attitudes face à l’extermination systématique des populations juives au cours de la Shoah entre 1941 et 1945 occupent évidemment une place centrale dans leur exposé, mais l’enquête des historiens débute dès l’arrivée au pouvoir d’Hitler avec les politiques antisémites des années 1930, et aborde aussi l’après-guerre, avec la définition juridique internationale du crime de génocide en 1948. Les faibles peines prononcées contre certains responsables de la diplomatie nazie contrastent alors avec la reconnaissance progressive des actions de diplomates ayant contribué à épargner de nombreuses vies.

« Le rôle des diplomates n’a été que plus récemment considéré, peut-être du fait de la difficulté d’accéder aux documents diplomatiques, éparpillés dans les archives à travers le monde », explique l’équipe d’historiens réunis par le Mémorial. « Les diplomates dans la Shoah sont encore largement perçus à travers une poignée d’entre eux qui ont sauvé des Juifs. Mais la réalité est bien plus trouble. Enserrés dans des administrations étatiques très rigides et des politiques étrangères complexes et changeantes, certains ont toutefois été les premiers informateurs sur la persécution, puis sur l’extermination. D’autres, plus rares, ont effectivement sauvé des Juifs. Mais la plupart d’entre eux ont obéi aux ordres, tentant de naviguer dans la tourmente de la seconde guerre mondiale. »

De fait, la majorité des diplomates en poste en Allemagne ou dans les territoires d’Europe envahis, « en fonction de la situation de leur pays dans le conflit, ont cherché à défendre les intérêts et la position de l’État qu’ils représentaient face à la politique expansionniste nazie, ou joué le jeu de la collaboration, ou encore tenté de préserver leur situation professionnelle ». Si tous sont plus ou moins conscients des réalités du régime hitlérien – « un diplomate en poste à Berlin en 1939 ne peut pas ignorer ce qu’est le nazisme » – bien peu s’expriment initialement contre le traitement des Juifs et des minorités par le régime hitlérien.

Malgré les insuffisances de la diplomatie internationale à empêcher la généralisation des politiques antisémites, puis la mise en place des camps d’extermination, les initiatives individuelles mises en lumière démontrent que d’autres attitudes étaient possibles. Passeports de réfugiés tamponnés, lettres alertant de la gravité des exactions nazies : en présentant des témoignages directs de leurs actions, l’exposition prend soin d’entretenir la mémoire de celles et ceux qui, « peu nombreux, ont utilisé les marges de manoeuvre qui leur étaient accordées pour aider des Juifs, particulièrement en refusant de les inscrire comme tels ou en leur procurant des visas malgré les restrictions drastiques prescrites pour leur délivrance ».

On citera les actions d’Aristides de Sousa Mendes, consul général du Portugal à Bordeaux qui « choisit d’ignorer les ordres de son gouvernement en délivrant des dizaines de milliers de passeports et visas à des réfugiés menacés par le nazisme », ou encore du Suédois Raoul Wallenberg, dont les activités ont permis à des milliers de Juifs de Budapest de survivre à la fin de la guerre. L’exposition évoque également l’histoire trop méconnue du diplomate japonais Chiune Sugihara, en poste en Lituanie, où « de concert avec son homologue néerlandais Jan Zwartendijk, il refusa d’obéir aux ordres de ses supérieurs et délivra, à l’été 1940, des milliers de visas de transit vers le Japon ».

En 2020, François de Vial devint le premier diplomate français reconnu Juste parmi les nations par le mémorial de Yad Vashem à Jérusalem. Attaché à l’ambassade de France auprès du Vatican, il contribua à cacher des Juifs sur place en lien avec des ecclésiastiques. 27 911 personnes à travers le monde, dont 4 150 Françaises et Français, ont ainsi été distinguées. « Cependant le livre des Justes ne sera jamais fermé, car nombreux sont ceux qui resteront anonymes faute de témoignages », précise le lieu de mémoire du Mont Herzl. « Reconnus ou non, ils incarnent le meilleur de l’humanité. En effet, tous ont considéré n’avoir rien fait d’autre que leur devoir d’homme. Ils serviront de phares et de modèles aux nouvelles générations. »

 

Exposition – Les Diplomates face à la Shoah
Jusqu’au 8 mai – Tous les jours (sauf le samedi) : 10-18h (jusqu’à 22h le jeudi)
Entrée libre
expo-diplomates-faceshoah.memorialdelashoah.org

 

 

Mémorial de la Shoah
17 rue Geoffroy l’Asnier, 75004 Paris
www.memorialdelashoah.org

 

Photographie d’illustration (recadrée) : Réfugiés juifs allemands du paquebot Saint Louis débarquant dans le port d’Anvers – Anvers, Belgique, 1939
© Wiener Library

  

 

 

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