Dans une situation inédite, la commission de déontologie de la ville a demandé à s’entretenir avec le stagiaire d’une membre du conseil de Paris, engagé dans le collectif Justice pour Guillaume, en raison de ses activités militantes. Cette convocation, émise suite à un courrier de l’élu Maxime Cochard, a été effectuée avec l’assentiment du cabinet de la maire.
Il y a un an, le 9 février 2021, Guillaume, jeune étudiant en licence d’administration économique et sociale à Paris-Nanterre, mettait fin à ses jours dans sa chambre de résidence universitaire. Dans le cadre du mouvement #MeTooGay lancé le mois précédent, il avait accusé de viol le conseiller de Paris communiste Maxime Cochard, ainsi que son partenaire.
“Après plus de deux ans, sans savoir mettre les mots sur ce qui m’est arrivé, je me rends compte que j’ai été violé par Maxime Cochard, conseiller de Paris, et son compagnon […], en octobre 2018, alors que je n’avais que 18 ans et étais particulièrement vulnérable”, écrivait Guillaume sur Twitter le 21 janvier 2021. “Je considère qu’ils ont profité de ma jeunesse, de ma naïveté, du fait qu’en raison de problèmes familiaux je n’avais pas vraiment d’endroit où dormir, de leurs responsabilités au sein du PCF pour avoir des relations sexuelles non consenties avec moi”, poursuivait-il.
Alors que les parents du défunt ont déposé plainte contre X pour “violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner”, une procédure toujours en cours, le conseiller de Paris se défend de tout acte répréhensible et a pour sa part “engagé une action judiciaire en diffamation”. Depuis, de nombreuses voix se sont élevées pour dénoncer le maintien de l’élu dans ses mandats. Malgré le retrait de ses délégations locales dans le 14e son exclusion officielle du groupe communiste au sein de l’assemblée parisienne, Maxime Cochard siège encore en tant que non-inscrit aux côtés de Christophe Girard, pour sa part écarté du groupe Paris en Commun en janvier 2021.
Engagé auprès d’organisations étudiantes et antifascistes depuis plusieurs années, Guillaume avait notamment contribué au lancement du collectif Paris Queer Antifa peu avant son décès. Après le choc de sa disparition, un autre collectif s’est formé pour dénoncer la situation, réunissant des proches et plusieurs centaines de personnes lors de deux manifestations organisées entre le cœur de Paris et la place du Colonel Fabien, siège du PCF. Arrivé à l’Hôtel de ville pour quatre mois en janvier dernier, le stagiaire de la conseillère LFI Danielle Simonnet convoqué en visioconférence le 10 février dernier est justement engagé aux côtés des jeunes militants de Justice pour Guillaume.
Yves Charpenel, à la tête de la commission de déontologie de la ville de Paris, reconnaît que c’est la première fois qu’un stagiaire est au centre de tels échanges. Interrogé par Le Parisien, il a jugé cette procédure “originale”. D’après Danielle Simonnet, l’institution aurait d’ailleurs hésité avant de répondre favorablement à la requête du cabinet de la maire. Une demande transmise suite à un courrier de Maxime Cochard adressé aux adjoints (PS) chargés du conseil de Paris et des ressources humaines, Patrick Bloche et Antoine Guillou, dans lequel le conseiller de Paris considère l’arrivée du stagiaire comme “une provocation de Mme Simonnet” et requiert “de ne pas [le] laisser accéder à l’Hôtel de ville”.
Pour l’élue LFI, seule opposante à la gauche de l’actuelle majorité PS-EELV-PCF d’Anne Hidalgo, l’enjeu est évidemment politique. “Non seulement la maire a relayé auprès de la commission la demande de Maxime Cochard, saisissant elle-même la commission, mais elle a également renseigné la commission concernant les expressions sur les réseaux sociaux et les engagements personnels de A., engagé dans la lutte pour la justice pour Guillaume, un ami et camarade de A. qui s’est donné la mort il y a un an, après avoir accusé M. Maxime Cochard, et son conjoint […] de l’avoir violé”, juge Danielle Simonnet.
Dans un courrier adressé à la maire de Pars le 11 février dernier, la conseillère de Paris du 20e estime que ces faits “suscitent nombre de questions, et interrogent fortement sur la conception de la maire de Paris de la lutte contre les discriminations politiques, son rapport aux engagements contre les violences sexistes et sexuelles, et in fine sur son absence à minima de neutralité quand un élu de sa majorité est l’objet d’accusation de viol”. L’affaire n’est évidemment pas sans rappeler le cas de Christophe Girard, qui avait dans un premier temps été soutenu par l’exécutif malgré sa proximité avec le pédocriminel Gabriel Matzneff, qu’il avait invité au restaurant aux frais de la municipalité.
En juillet 2020, une ovation saluant Christophe Girard, lancée par le préfet de police Didier Lallement, avait réuni la majorité des élus du conseil de Paris. Trois femmes s’y étaient notamment opposées : Danielle Simonnet, et les conseillères écologistes Alice Coffin et Raphaëlle Rémy-Leleu. Elles ont apporté leur soutien à leur consœur insoumise ce jeudi, la première jugeant la situation “gravissime”, la seconde dénonçant une “stratégie des agresseurs : inverser la culpabilité, insécuriser, et verrouiller le secret. Face à cela, tout mon soutien à ce militant ainsi qu’à Danielle Simonnet. On a besoin de leur engagement, à la ville de Paris comme ailleurs”.
Les deux élues EELV sont bien placées pour connaître les répercussions et intimidations qui attendent trop souvent celles et ceux qui dénoncent les auteurs de violences sexuelles et leurs complices. Le mois dernier, elles ont été poursuivies pour diffamation et injure publique par Christophe Girard aux côtés de trois autres militantes et un militant féministes, suite aux manifestations organisées sur le parvis de l’Hôtel de ville à l’été 2020 pour demander la démission de celui qui était encore adjoint à la culture. “Depuis qu’il a été exclu de la majorité et qu’il a quitté son poste d’adjoint, la légitimité politique de Christophe Girard approche le néant. Ses attaques me laissent insensible“, avait réagi Raphaëlle Rémy-Leleu.
Dans les rangs des communistes parisiens, le retour de Maxime Cochard, qui n’est “plus membre du groupe au conseil de Paris” et a “vu ses droits d’adhérent PCF suspendus”, n’en finit pas de provoquer des frictions. Mediapart rapporte ainsi que les deux élues communistes siégeant aux côtés de Maxime Cochard au conseil du 14e arrondissement, Catherine Chevalier et Anissa Ghaidi, avaient menacé de rendre leur carte du parti suite à une “violente altercation” en septembre 2021. “C’était la première fois qu’il revenait en conseil municipal. Les propos tenus quand je lui ai fait remarquer qu’il aurait pu nous prévenir ont été particulièrement insultants, au point que j’ai déposé une main courante”, a précisé Catherine Chevalier au média d’investigation.
D’autres élus communistes semblent pourtant moins enclins à accepter la “mise à l’écart” de Maxime Cochard. Adjointe à la maire de Paris en charge de la mémoire, Laurence Patrice a ainsi exprimé son soutien au conseiller de Paris et à son partenaire le jour même des commémorations du décès de Guillaume. “Le renversement du rapport victime-agresseur est une banale stratégie de décrédibilisation des propos des victimes”, estime le collectif Justice pour Guillaume. Ses membres appellent aujourd’hui Anne Hidalgo à “prendre ses responsabilités” : “oui nous ne pouvons révoquer Maxime Cochard de son mandat d’élu, mais vous avez le devoir moral, si vous prétendez lutter contre les violences sexistes et sexuelles, d’au minimum ne pas laisser votre majorité et vos adjoint·e·s soutenir des élus accusés de viols !”
Au début du mois, le conseiller de Paris mis en cause et son compagnon partageaient des clichés les montrant en pleine distribution de tracts pour la campagne du candidat communiste à la présidentielle Fabien Roussel. “Cinq jours plus tard, le 9 février, les deux hommes ont été de nouveau mis en cause sur les réseaux sociaux, par un autre témoignage faisant état de faits ressemblant au récit de Guillaume, et qui dateraient d’il y a six ans. Interrogé sur ce point, le PCF explique avoir d’ores et déjà pris contact avec l’auteur du tweet pour lui proposer un accompagnement dans le cadre de son dispositif Stop Violence”, rapporte le journaliste Clément Pouré pour Mediapart.
Théorie marxiste oblige, les cadres du parti devraient être en position idéale pour comprendre la diversité des mécanismes de domination ou “d’emprise” dont il est ici question, un terme utilisé par Guillaume peu avant sa disparition. De fait, les “ambiguïtés” de certains élus ne contribuent pas à restaurer une image du PCF écornée par les agissements de Maxime Cochard, qui utilisait encore récemment les réseaux sociaux pour insulter ou provoquer des militantes et militants de Justice pour Guillaume rassemblés en mémoire de l’étudiant défunt. Une situation qui trouble les messages de soutien aux victimes du parti, et complique ses relations avec les organisations de jeunesse aux côtés desquelles les communistes ont pour habitude de défiler dans les manifestations.
“Le Parti communiste français n’est pas propriétaire des mandats et encore moins de ceux qui ont été suspendus”, estimait Adrien Tiberti, secrétaire départemental du PCF parisien, dans un entretien accordé à Regards en novembre dernier. L’élu du 11e assurait de nouveau que “la position du PCF est de dire qu’on croit les victimes”. Malgré ces déclarations, force est de constater que le conseiller de Paris initialement “mis en retrait” dispose encore de certains appuis de représentants du parti – le collectif Justice pour Guillaume cite également le cas de Catherine Vieu-Charier, prédécesseure de Laurence Patrice en tant qu’adjointe à la mémoire sous la première mandature d’Anne Hidalgo.
Suite à la convocation inédite du jeune membre de l’équipe de Danielle Simonnet, un entretien qui se serait “déroulé avec bienveillance”, le président de la commission de déontologie du conseil de Paris a présenté la procédure comme “nouvelle et normale”, expliquant qu’elle avait “vocation à être généralisée à tous les stagiaires à venir”. Il a également évoqué au cours de cet échange “le principe de neutralité, […] notamment sur les espaces numériques”, faisant ici référence à l’activisme en ligne de A., qui ne révèle pourtant pas sa véritable identité sur les réseaux sociaux. La conseillère insoumise estime que “cela suppose un renseignement préalable sur sa personne et ses engagements”.
Dans son courrier à la maire de Paris, l’élue du 20e demande “en quoi les engagements militants relevant de la sphère privée peuvent-ils relever de la commission de déontologie ? Comment se fait-il que M. Charpenel ait été documenté par vos collaborateurs sur les engagements politiques [d’A.] et sur ses expressions sur les réseaux sociaux ?” Danielle Simonnet précise que d’après le président de la commission de déontologie du conseil de Paris, cette dernière “n’a jusqu’à présent jamais été saisie au sujet des engagements politiques et des communications sur les réseaux sociaux personnels de quelque collaborateur ou stagiaire de la mairie de Paris”.
“Comment [A.] peut-il interpréter autrement toute cette démarche, provoquée au départ à la demande de M. Maxime Cochard, que comme relevant d’une tentative de pression, d’intimidation ?”, interroge la conseillère de Paris. À l’origine des révélations de novembre dernier concernant l’ex-adjoint à l’urbanisme Jean-Louis Missika, aujourd’hui sous le coup d’une enquête du Parquet national financier pour “prise illégal d’intérêt”, l’élue LFI n’a aucune intention de se départir de son rôle de “lanceuse d’alerte”. Constatant que l’ancien responsable des programmes “Réinventer Paris” s’était reconverti chez Noxavia et Gecina, groupes liés à plusieurs projets d’urbanisme parisiens, Danielle Simonnet avait alors saisi… la commission de déontologie de la ville de Paris. L’institution présidée par Yves Charpenel avait confirmé les dires de la conseillère de Paris, et les évidents “conflits d’intérêts” liés aux nouvelles fonctions de M. Missika.
Photographie : Salle du conseil de Paris
© Paris Lights Up