SNCF Gares & Connexions a annoncé mardi 21 septembre mettre “fin au contrat de concession de la gare du Nord, conclu avec Ceetrus en 2019”. Cette filiale immobilière du groupe Auchan envisageait de tripler la surface des lieux, pour implanter un véritable centre commercial au cœur des bâtiments hérités du XIXe siècle.
Deux principaux constats ont motivé la décision de la SNCF, avertie d’une “défaillance grave” au mois de juillet : tout d’abord l’explosion des coûts, avec une ardoise finale désormais estimée à 1,5 milliard d’euros plutôt qu’aux 600 millions prévus en 2018. Ensuite, le non-respect des délais précisés par le contrat. Le réaménagement de la gare du Nord n’aurait pas pu être achevé avant 2026, alors même que l’échéance de la fin des travaux avait initialement été fixée pour la Coupe du monde de rugby de 2023 ou, dans le pire des cas, aux Jeux olympiques et paralympiques de 2024. Dans son communiqué, l’institution ferroviaire évoque “des dérives insupportables par rapport aux engagements contractuels de StatioNord », consortium composé de la foncière Ceetrus (66 %) et de SNCF Gares & Connexions (34 %).
Le projet a rapidement fait l’objet d’une forte opposition locale, réunissant usagers de la gare, riverains, passionnés de patrimoine, architectes et urbanistes. La décision de la SNCF retire ainsi une épine du pied d’Anne Hidalgo et de sa majorité municipale, dont les composantes écologiste et communiste ont régulièrement manifesté leur opposition à cette extension, jugée hors de propos et passéiste. La mairie avait d’abord soutenu le projet, avant un changement de cap et l’obtention en novembre 2020 d’une réduction de sa surface commerciale, renforçant en parallèle la place accordée aux espaces verts. Pour le conseiller de Paris (EELV) du 18e Émile Meunier, les aménagements prévus restaient inadaptés, et leur abandon représente “une victoire pour les écologistes. Au-delà, il faut revoir tous les projets de bureaux – centres commerciaux à Paris. Par exemple, Masséna-Bruneseau [à l’est de la capitale, dans le 13e arrondissement, NDLR]. Ce modèle des années 2000 est obsolète”.
Encadré par un permis de construire validé par le préfet de région en juillet 2020, le projet d’origine aurait doté la station de près de 50 000 mètres carrés d’espaces et de services (surtout des boutiques et restaurants, mais aussi des bureaux), contre 10 000 mètres carrés actuellement. Des gages donnés aux grandes enseignes, au risque de rallonger les itinéraires et de compromettre les temps de trajets des voyageurs. Une situation pour le moins paradoxale au sein d’une gare, d’autant plus lorsque celle-ci est la plus fréquentée du continent – jusqu’à 750 000 passages par jour, et “900 000 envisagés d’ici 2030”.
Pour Jacques Baudrier, adjoint (PCF) à la maire de Paris en charge de la construction publique et du suivi des chantiers, cette annonce “acte l’échec d’un modèle : la volonté de faire financer les investissements publics par du privé. C’est simple : cela ne marche pas”. D’après lui, “la SNCF a imaginé avec Auchan ce (mauvais) projet de gare – centre commercial parce qu’elle n’a pas de financement public pour l’indispensable réaménagement de la gare du Nord”. Il appelle de ses vœux “un projet public d’aménagement de cette gare, conçu pour les usagers. Il faut gagner un financement public d’au moins 400 millions dans le cadre d’un contrat de plan État-Région, à signer en 2022. La bataille commence aujourd’hui.”
Alexandra Cordebard, maire (PS) du 10e arrondissement au nord duquel se trouve le hub ferroviaire, souhaite voir émerger “un nouveau projet plus sobre et plus écologique permettant de moderniser la gare du Nord, et d’enfin libérer son parvis de la circulation automobile et du stationnement anarchique”. Elle veut notamment “faciliter l’ouverture de la gare sur son quartier en donnant davantage de place aux transports en commun, aux piétons, et aux vélos”. Les collectifs d’habitants mobilisés demandent également une meilleure connexion en direction du nord, vers les quartiers de Barbès et la Chapelle (18e).
Du côté de l’opposition, la conseillère de Paris (LFI) du 20e Danielle Simonnet estime que l’échec du réaménagement est “la preuve que le recours au privé aboutit toujours à des dépassements budgétaires exorbitants ! Maintenant, à la maire de Paris d’entendre enfin la contestation des riverains, des usagers, et des associations”, en lançant “une conférence de consensus”. Devant la fin du contrat de concession de la gare du Nord, des élus du groupe conservateur Changer Paris jugent désormais “qu’il doit en aller de même pour le projet de la gare d’Austerlitz”, autre transformation commerciale fortement critiquée au sein de la majorité municipale.
La SNCF promet pour sa part “une adaptation rapide de la gare du Nord aux enjeux de la Coupe du monde de rugby en 2023 et des Jeux olympiques de 2024 ». Les principaux réaménagements des espaces dédiés aux voyageurs seraient par ailleurs maintenus, des travaux chiffrés entre 30 et 50 millions d’euros. Alors que la CGT – Cheminots dénonce “un énième fiasco financier” et “un projet délirant qui se termine en accident industriel majeur”, le syndicat Sud-Rail précise à l’AFP que “de nombreux contentieux juridiques” pourraient suivre, et “amener la SNCF à verser des dommages importants à Ceetrus, alors même qu’aucune rénovation d’ampleur n’a été faite en gare du Nord”.
Filiale immobilière du groupe Auchan, disposant d’un patrimoine valorisé à huit milliards d’euros en 2018, Ceetrus connaît un nouveau revers lié à ses faibles considérations environnementales. Il y a cinq ans, la société foncière s’était alliée au groupe chinois Wanda pour développer le projet EuropaCity sur les terres agricoles du “Triangle de Gonesse” (Val d’Oise), au nord-est de Paris. Un méga-complexe de 80 hectares, définitivement abandonné en novembre 2019 sur décision du gouvernement, dans le cadre d’une opposition là encore particulièrement fournie.
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Photographie © Wikimedia Commons
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