Vous souhaitez découvrir Paris et ses artistes autrement ? Partons ensemble à la rencontre de Johanna Da Costa Goncalves, une guide conférencière “trilingue, engagée, et féministe” habituée à parcourir les pentes de l’est parisien.
Alors que l’horizon ne s’éclaircit guère pour les professionnelles et professionnels du tourisme de la capitale, nous avons eu la chance d’échanger avec cette “guide passionnée, qui aime l’histoire et la raconter, qui aime l’art et l’expliquer”. Au cours de ses visites comme sur les réseaux sociaux, Johanna a notamment à cœur de mettre en avant des femmes que les historiens de l’art ont trop souvent relégué à l’arrière-plan. Vous souhaitez en savoir davantage sur Dora Maar, Sonia Delaunay, Jacqueline Marval, Augusta Savage ou Natalia Gontcharova ? N’hésitez pas à rejoindre les visites (aujourd’hui virtuelles) proposées par Suivez la guide !
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Paris Lights Up : Au cours de tes visites comme sur les réseaux sociaux, tu veilles à mettre en avant les femmes artistes. Tu as quelques conseils pour celles et ceux qui souhaiteraient découvrir les créatrices exposées dans les musées, les galeries, voire sur les murs de la capitale ?
Johanna Da Costa Goncalves : Faire des recherches et se renseigner en amont d’une visite, d’une découverte ! Malheureusement, les ressources sur les femmes artistes ne sont pas toujours simples d’accès, elles ne nous tombent pas toutes crues dans le bec. Ce qui est “contraignant” dans ces recherches, c’est qu’il faut avoir envie d’en savoir plus. Je m’explique : par exemple dans un musée, la grande majorité des œuvres exposées sont réalisées par des hommes, l’information est donc directement transmise. Vous allez au musée du Louvre, les cartels annoncent quel homme a peint tel tableau, et parfois vous avez même droit à un bout de sa vie. Pour les femmes, comme elles sont peu exposées, il faut savoir où aller, où les trouver. Il ne s’agit pas de déambuler dans les galeries et de tomber par hasard sur elles. Non, il faut les chercher, savoir où on les “cache”, il faut avoir envie de trouver des femmes artistes, provoquer leur rencontre.
Sur les murs de la capitale, avec le street art, c’est un peu pareil. Je refuse de croire à cette idée que l’art a un genre “masculin” ou “féminin”. Du coup, quand quelque chose attire notre attention dans la rue, il faut faire ses recherches derrière. Mais ce qui est vraiment bien, c’est que les femmes sont partout avec le street art ! J’ai eu la chance “d’interviewer” certaines d’entre elles dans le cadre de la préparation d’une visite street art à Belleville, et la majorité ont en commun cette notion de prendre la parole, de prendre l’espace, de se réapproprier la rue. Et j’aime l’idée. Je peux par exemple citer Mars.L, Marquise ou Wild Wonder Woman.
Le truc avec les femmes artistes, c’est qu’il faut aller les chercher, s’y intéresser, vouloir les voir. Elles ont tellement été invisibilisées dans l’histoire de l’art que contrairement à leurs homologues hommes artistes dont les infos abondent sans qu’on ait rien besoin de demander, les femmes artistes, elles, sont toujours quelque peu inaccessibles. Et c’est à ça que je sers en tant que guide conférencière engagée, à les remettre dans la lumière.
Petite note positive cependant : le Musée Marmottan, le Musée d’Orsay et le Centre Pompidou exposent pas mal de femmes artistes (et pas dans des salles reculées ou personne ne va !).
Les femmes ont été actives et engagées dans tous les grands événements parisiens – révolutions, mouvements culturels, efforts de guerre, résistance, etc. Avec des initiatives telles que les Journées du matrimoine ou la publication récente de plusieurs livres à ce sujet, le “grand public” commence-t-il enfin à s’intéresser suffisamment à ce sujet ?
Je tends à dire que oui, enfin on commence à s’intéresser aux femmes, à toutes les femmes et minorités de genre, qu’iels soient artistes, écrivain.es, scientifiques, militant.es, activistes, anonymes. De plus en plus, il y a une prise de conscience. Les femmes représentent la moitié de la population mondiale, ce n’est quand même pas rien ! Mais elles sont toujours traitées en minorité, c’est désolant.
J’espère seulement que cette prise de conscience, cet intérêt pour les femmes et minorités de genre de l’histoire et leur histoire va s’inscrire sur la durée, et qu’il ne s’agit pas seulement d’une prise de conscience dans les milieux féministes uniquement, ou d’un élément marketing. Parce que oui, maintenant le féminisme et l’histoire des femmes deviennent des arguments marketing pour certaines entreprises qui se disent féministes, mais qui reproduisent exactement les mêmes schémas patriarcaux qu’elles dénoncent. J’en ai malheureusement déjà fait l’expérience !
Tu proposes plusieurs itinéraires de visite à travers l’est parisien : Père Lachaise, street art à Belleville, Paris révolutionnaire… Si l’on oublie un instant le contexte actuel, les visiteurs recherchent-ils de plus en plus ce type d’offres touristiques “hors des sentiers battus” ?
Cela dépend des visiteur.euses. Au cours de ces trois dernières années dans la capitale, j’ai principalement travaillé avec une clientèle américaine, et pour cette clientèle, sans tomber dans les stéréotypes, Paris c’est souvent le Louvre, la Tour Eiffel, Notre-Dame et les artistes de Montmartre. Du coup, j’ai mis un peu de temps à commencer à travailler sur des choses plus “alternatives”, sur des choses qui m’animent bien plus, en pensant que ça n’intéresserait personne. Et puis en fait, je m’étais trompée : ces visites moins classiques intéressent beaucoup le public français, le public parisien qui connaît déjà les grands monuments de la capitale et qui veut occuper son temps autrement.
Tout le monde a envie de se démarquer, de faire quelque chose que les autres ne font pas, de découvrir des éléments un peu plus insolites et alternatifs. Ces visites hors des sentiers battus rencontrent le succès à tout âge, et c’est une super nouvelle ! Même en prenant un classique parisien, le Père Lachaise par exemple, il est possible de faire quelque chose d’unique, comme la visite que j’ai préparée, qui met à l’honneur les femmes et artistes du XIXème siècle. Selon moi, il faut qu’il y ait une thématique précise, et surtout une thématique qui nous anime. Si la ou le guide est passioné.e et s’amuse dans son travail, alors les gens le ressentiront et passeront aussi un bon moment.
Pour reprendre la question, et surtout avec la situation du moment, les visiteur.euses cherchent à redécouvrir leur environnement de vie : leur quartier, leur ville, leur pays. Et ce sont ces thèmes de visites un peu plus alternatifs et insolites qu’iels vont rechercher. Il m’est arrivé de faire une visite de Montmartre à des personnes vivant dans le 18ème, qui m’ont dit “Wow, ça fait 8 ans que je vis là, et je ne connaissais même pas !” Et c’est plutôt une bonne chose !
La situation des professionnels du tourisme et de la culture, et des guides conférencières et conférenciers en particulier, est très fragilisée par la crise. Quelle a été ton expérience ces derniers mois, et qu’est-ce qu’on peut te souhaiter pour les saisons à venir ?
Qu’est-ce-que je pourrais répondre sans me mettre à pleurer ? [Rires tristes] Blague à part, les derniers mois, et l’année 2020 en général, ont été une catastrophe. La plupart des guides conférencier.es n’ont pas ou trop peu travaillé. Pour les guides indépendants, une aide, un fonds de solidarité a été débloqué. Ce n’est pas grand chose comparé à une année de travail cependant. En revanche, les guides salarié.es en CDD, saisonnier.es, dont je fais partie, n’ont rien eu ! J’ai personnellement eu la chance de bénéficier du chômage pendant un an. Mais cela s’est arrêté, et malgré la prime exceptionnelle accordée, les guides-conférencier.es en général n’ont pour l’instant AUCUNE perspective d’avenir. On ne sait pas quand on pourra de nouveau travailler, parce qu’on a besoin de touristes pour ça, et qu’ils ne sont pas prêts de revenir pour le moment…
Les guides conférencier.es sont ultra mobilisé.es, mais pas du tout écouté.es. J’ai toujours entendu dire que la plus grande qualité des guides était l’adaptabilité. Je ne l’ai vraiment compris que cette année, pendant le premier confinement. J’ai alors développé un compte Instagram qui propose du contenu sur l’art, et qui vise à rendre accessible à tous.tes les notions d’art. J’essai avec ces publications de casser le côté “élitiste” de l’art pour que tout le monde se sente légitime à parler de peinture, de sculpture, à aller dans un musée et a apprécier les œuvres même si “on n’y connaît rien”. Durant le second confinement, je me suis décidée à lancer des visioconférences ! J’ai cherché ma légitimité un moment, cachée au fond d’un placard, puis je me suis lancée. Et ça a plutôt bien marché ! Du coup, pour 2021, j’ai lancé une série de visioconférences sur des thèmes différents pour le mois de février, et pour l’instant ça commence plutôt bien, j’en suis très heureuse. En espérant continuer sur cette lancée !
Je ne peux malheureusement toujours pas proposer un calendrier de visite. La menace d’un confinement rôde toujours autour de nous, alors dans le doute, je préfère ne pas trop me projeter pour l’instant. Mais le calendrier des visioconférences est disponible sur les réseaux sociaux !
Tu vis à Pantin, et tu passes une bonne partie de ton temps dans les 19ème et 20ème arrondissements. Qu’est-ce qui te plaît tant dans ces quartiers ?
Je ne saurais pas expliquer pourquoi j’aime tant ces quartiers, c’est un ressenti. Par exemple, quand je me balade dans le 6ème arrondissement, je ne me sens pas spécialement à ma place, quand je me balade dans le 2ème, je trouve qu’il y a trop de monde. Dans les 19ème et 20ème, je retrouve un peu cette atmosphère plus accueillante. Déjà, il y a des points de vue superbes (les Buttes Chaumont, un classique, le belvédère de Belleville, le parc de la Butte du Chapeau rouge), le street art pleut sur les murs comme il pleut sur la France depuis trois semaines, il y a des rues sympas où se promener qui nous font penser parfois à des villages, l’offre culinaire y est tellement variée. Et puis c’est pas très loin de Pantin, je m’y rends à pied la plupart du temps, et c’est agréable de traverser cet est parisien : le Pré-Saint-Gervais, les Lilas, le 19ème et ses bâtiments en briques, passer par le belvédère de Belleville pour finir dans un bar à Ménilmontant. C’est plutôt chouette comme balade.
Désolée pour cette réponse un peu fourre-tout, mais c’est un peu ce que je ressens quand je me balade dans ces quartiers. Même si parfois j’en ai marre que tout soit en pente dans ces arrondissements [Rires], j’aime tout !
Tu dois donc avoir quelques bonnes adresses à nous conseiller ?
En effet ! Et d’ailleurs, j’aimerais bien que ces bonnes adresses puissent rouvrir. Pour manger, je dévore les gyozas de Guo Xin, rue de Belleville. C’est là que j’emmène tout le monde, dans ce restaurant minuscule et archi bruyant, juste parce que les gyozas sont délicieux et vraiment pas chers ! Ensuite il y a Cantine Primeur, qui propose une cuisine de saison et végétarienne (peut-être même végétalienne), rue Lemon. Les Bancs Publics, sur les quais du canal de l’Ourcq : on y mange vraiment bien. Pour les bars, il y a Culture rapide – Cabaret Populaire, place Fréhel, qui est super, l’été sur la terrasse avec les copain.es c’est vraiment sympa ! Le bar-restaurant Demain c’est loin, à côté de l’église de Ménilmontant.
Pour se promener, le quartier de la Mouzaïa, pépite colorée dans le 19ème arrondissement. La rue Germaine Tailleferre pour le street art, toujours dans le 19ème. Je recommande également de se balader dans les rues des Vignoles, des Cascades, Dénoyez, et du côté de la villa de l’Ermitage !
Merci pour tous ces bons conseils, on te laisse le mot de la fin !
Je veux vraiment casser cette image du guide conférencier qu’ont souvent les gens, cette image d’une personne qui débite son discours de manière formelle, sans fun. Je suis persuadée qu’on peut tous.tes apprendre en passant un bon moment, et même en riant (avec mes blagues nulles). Je me vois vraiment comme une guide dynamique, je laisse transpirer ma personnalité et ma passion quand je fais des visites (et même en visio apparemment !), mon engagement, mon humour douteux. L’essentiel, c’est vraiment que les gens passent un bon moment, que l’on se rappelle des instants passés ensemble en se disant “Tu te rappelles de la visite avec Johanna ? C’était un super moment !” Bref, des moments de convivialité, d’échanges, de rires et de partages.
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Johanna Da Costa Goncalves – Suivez la guide
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