Liu Shaoyao, tué par la BAC du 19e arrondissement en 2017 : L’État condamné pour « faute lourde »

Plus de six ans après la mort de Liu Shaoyao, la justice vient de condamner l’État à verser 138 000 euros à sa veuve et leurs cinq enfants. L’homme de 56 ans avait été tué par le tir d’un policier de la brigade anti-criminalité (BAC) du 19e à son domicile de la villa Curial, en présence des quatre plus jeunes de la fratrie.

La première chambre civile du tribunal judiciaire de Paris vient de se prononcer : après une ordonnance de non-lieu rendue par les juges d’instruction en 2020, puis le rejet d’un pourvoi par la Cour de cassation en 2022, la famille de Liu Shaoyao peut enfin entrevoir un début de reconnaissance de ses souffrances par la justice française. « Il s’agit d’une première dans les annales judiciaires où, après qu’un non-lieu ait été prononcé sur une bavure policière, le tribunal civil a décidé qu’une faute lourde des fonctionnaires devait être retenue », a estimé auprès de l’Agence France Presse l’avocat des Liu, Maître Pierre Lumbroso.

Ce dernier espère que cette décision fera jurisprudence. Le 26 mars 2017, peu après 20h, trois policiers de la BAC du 19e étaient intervenus au domicile de la famille Liu, situé au 39 villa Curial, dans le nord du 19e arrondissement, suite à un appel d’un voisin pour « tapage nocturne ». Une fois la porte enfoncée par les agents, Liu Shaoyao avait été mortellement atteint d’une balle au cœur par le policier Damien V., sous les yeux de ses filles Isabelle et Nathalie. Si les policiers ont assuré avoir agi en « légitime défense« , arguant que le père de famille aurait utilisé à leur encontre une arme blanche et qu’un comportement erratique leur avait été rapporté, ses enfants assurent que ce dernier était simplement en train de couper du poisson à l’aide d’une paire de ciseaux.

La justice estime que les policiers auraient dû être équipés d’armes non-létales

Depuis ce dramatique soir du printemps 2017, la veuve et les enfants de Liu Shaoyao n’ont cessé de se battre pour demander « vérité et justice ». Plusieurs manifestations d’ampleur avaient suivi la mort du ressortissant chinois de 56 ans, la communauté franco-chinoise ayant été particulièrement marquée par sa mort et l’absence de reconnaissance judiciaire de la responsabilité des policiers et du préjudice subi par la famille Liu. Son avocat se félicite aujourd’hui que la justice admette enfin « que M. Shaoyao Liu n’aurait pas dû mourir dans ces circonstances et que la responsabilité des services de l’État est pleinement et totalement engagée ».

Assigné devant la justice civile par Maître Pierre Lumbroso, l’État vient d’être condamné pour « faute lourde » par la première chambre civile du tribunal judiciaire de Paris pour deux motifs. Reconnaissant que les policiers de la BAC « pouvaient être appelés à intervenir sur des conflits du quotidien ou des infractions de dangerosité moyenne », le jugement considère cependant que les agents auraient dû être équipés d’armes non-létales, comme « une matraque télescopique, une bombe lacrymogène ou un pistolet à impulsion électrique ». Or les policiers étaient ce soir-là armés d’un fusil d’assaut et de pistolets, alors « qu’ils intervenaient face à un homme potentiellement armé uniquement d’un couteau« .

De nombreux faits de violences et de pratiques racistes rapportés ces dernières années au sein du commissariat du 19e arrondissement

Le deuxième motif invoqué par la justice reflète l’un des aspects les plus cruels de cette affaire, en mettant en avant « une inaptitude du service public de la justice à mener sa mission ». Il concerne l’absence de prise en charge des enfants après la mort de leur père : ces derniers ont dû rester seuls pendant près de deux heures dans une des chambres de l’appartement familial, « sans prise en charge médicale », puis ont été contraints « d’annoncer eux-mêmes à leur mère le décès ». Dans un entretien accordé à Street Press en 2019, la veuve et les enfants de Liu Shaoyao sont revenus sur les profonds traumatismes infligés suite à la mort du père de famille lors de l’intervention policière.

Deux des policiers impliqués seraient également mis en cause dans les actes de violences et de tortures révélés par Street Press en 2020 au commissariat du 19e arrondissement. Les insultes et atteintes physiques à caractère raciste y seraient également habituelles, d’après de nombreux témoignages et plusieurs enquêtes publiées au cours de ces dernières années. En juin dernier, quatre policiers de l’arrondissement ont été « sanctionnés » par l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) suite à des faits de violences et de rédaction de faux procès-verbaux rapportés par le « journaliste infiltré » Valentin Gendrot dans son livre Flic, paru en 2020. D’après les informations d’Actu Paris, « une exclusion de trois jours avec sursis a été prononcée à l’encontre d’un des agents. Les trois autres ont écopé d’un blâme »

 

 

Photographie d’illustration : Rassemblement en mémoire de Liu Shaoyao
Photographie transmise par © Justice pour Shaoyao

 

 

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