Une occupation de l’école du Clos (20e arrondissement) a eu lieu cette semaine en solidarité avec la famille de deux enfants à qui aucun hébergement n’avait été proposé. “Plus de 1 000 personnes à la rue avec des enfants scolarisés nous ont été signalées en un an, une augmentation inédite”, ont indiqué ce jeudi les élus de la majorité parisienne dans une lettre au ministre de la ville et du logement.
Les nuits du lundi 3 et mardi 4 juillet, des membres de l’équipe éducative de l’école du Clos, dans le quartier Saint-Blaise, ont occupé l’école afin d’appeler à un hébergement d’urgence de la famille de deux enfants âgés “de 4 ans, aujourd’hui en petite section, et de son petit frère de 2 ans et demi qui rentrera en septembre à la maternelle”. Faute de mieux, un hébergement d’au moins une semaine leur a finalement été présenté dans la commune de Saint-Ouen-l’Aumône (Val d’Oise), à 1h15 de trajet de l’école en transports en commun.
Après d’autres séjours temporaires loin de la capitale, comme aux Mureaux (Yvelynes) ou à Goussainville (Val d’Oise), enseignants et parents d’élèves s’inquiètent notamment de la stabilité du quotidien et du suivi éducatif des enfants. “Ils ont déjà loupé quinze jours en mai car ils étaient trop loin”, explique ainsi Madame A., la directrice de l’établissement. Au-delà, les personnels mobilisés s’inquiètent de la situation de la famille pour les semaines à venir. “Qu’est-ce qu’on va faire pendant l’été ?”, s’interroge ainsi la responsable de l’école (134 élèves pour la maternelle), qui appelle de ses vœux un hébergement stable et à proximité pour la famille.
Une mobilisation pour une mère sans abri et sa fille dans cette même école en mars dernier
En mars dernier, l’équipe enseignante et des parents d’élèves s’étaient déjà mobilisés pour l’hébergement d’une mère et de sa fille scolarisée. “Après deux ou trois nuits d’occupation de l’école, elles ont pu dormir à l’hôtel de manière pérenne, elles ont maintenant un toit sur la tête”, explique la directrice de l’établissement. Venue rencontrer les participants au “café solidaire” organisé sur place dans la matinée du mardi 4 juillet, la députée (LFI – Nupes) de la circonscription Danielle Simonnet s’inquiète de la généralisation de ces situations, avec “plusieurs écoles du 20e confrontées à ce genre de problème”.
“Avec l’approche des JO, les hôtels à Paris ne veulent plus prendre en charge les personnes sans abri. Ils veulent rénover, faire du business”, regrette la représentante du quartier à l’Assemblée nationale. “La situation est alarmante : ainsi la Fédération des acteurs de la solidarité alerte sur de nouvelles attaques du gouvernement contre les moyens alloués à l’hébergement d’urgence, avec une baisse du nombre de nuitées hôtelières, une baisse des moyens aux centres d’hébergement, et un gel de nouvelles places qui devaient être ouvertes en Ile-de-France pour remplacer des fermetures prévues fin 2023 en raison de la fin de la mise à disposition temporaire de plusieurs sites”, indique-t-elle par ailleurs dans un communiqué publié le soir même, alors que s’annonçait une seconde nuit consécutive d’occupation de l’école du Clos.
“Plus de 1 800 enfants sont sans solution chaque soir faute de réponse possible par le 115”
Le Collectif Associations Unies, qui a dressé “un bilan de l’année écoulée en matière d’hébergement et de logement” lors d’une conférence de presse organisée mercredi 6 juillet, livre un tableau particulièrement sombre de la situation. Réunissant les principales associations engagées pour l’hébergement d’urgence et contre l’exclusion (Croix-Rouge française, Emmaüs, Fondation Abbé Pierre, Médecins du Monde…), le collectif estime “qu’à la veille des vacances scolaires, alors que l’été est souvent marqué par une augmentation des expulsions et des remises à la rue de familles hébergées, la situation est déjà très inquiétante : plus de 1 800 enfants sont sans solution chaque soir faute de réponse possible par le 115, la production de HLM s’effondre, et les expulsions locatives ont atteint un niveau record, 17 500 en 2022, alors que la loi “Kasbarian” n’a pas encore produit ses effets négatifs”.
“Au niveau local, des suppressions de places sont déjà en cours (au moins 6 000 places d’hébergement sont menacées), alors que les besoins, eux, ne faiblissent pas. Au vu des retours de terrain des sas de “desserrement” de l’Île-de-France, censés faciliter l’étude des situations en région, nous constatons que le dispositif est voué à déplacer le problème en dehors de l’Île-de-France s’il n’est pas accompagné d’une création significative de places”, poursuivent les associations engagées pour le droit au logement. Elles alertent sur une situation de plus en plus préoccupante sur le terrain, avec une forte hausse du nombre de personnes à la rue, dont de nombreuses familles, avec “plus de 6 000 demandes non pourvues au cours du mois de juin 2023, un niveau jamais égalé jusqu’ici”.
“Nous sommes encore loin” de l’objectif “zéro enfant à la rue”
La situation est particulièrement dramatique en Île-de-France, “où les demandes non pourvues d’hébergement sont en moyenne à hauteur de 1 335 chaque jour depuis début 2023 pour les seuls départements de Paris et de la Seine-Saint-Denis”. Les associations s’étonnent ainsi de l’absence de réponses apportées par l’État, précisant “qu’en Île-de-France, les préfets des départements ont fait connaître aux Service Intégré de l’Accueil et de l’Orientation (SIAO) et aux associations une réduction de 6 à 8 % des crédits et dotation hébergement par rapport à la consommation actuelle, devant aboutir à la suppression de 4 000 nuits d’hôtels avant le 31 décembre, dont la moitié en Seine-Saint-Denis”.
Estimant que la France compte aujourd’hui près de “50 000 enfants qui restent sans-domicile, à la rue ou en hébergement” temporaire, le Collectif Associations Unies juge que “nous sommes encore loin” de l’objectif “zéro enfant à la rue” formulé le 15 juin dernier par le ministre délégué chargé de la ville et du logement Olivier Klein. “Pour la seule Seine-Saint-Denis, mardi 27 juin, 477 personnes sont restées sans réponse au 115 (contre 351 à la même période l’an dernier) d’après Interlogement93, dont 191 mineurs et même 70 enfants de moins de 3 ans”, dénoncent ainsi les porte-paroles associatifs réunis ce mercredi.
“Plus de 1 000 personnes à la rue avec des enfants scolarisés signalés en un an” aux services de la ville de Paris
D’après Jamais Sans Toit, “réseau de parents d’élèves mobilisés contre le sans-abrisme” soutenu par le collectif, le nombre d’enfants aujourd’hui à la rue est “reparti à la hausse”. Pour le CAU, “la mobilisation du réseau est malheureusement le signe d’un besoin grandissant : 51 établissements ont été occupés cette année pour obtenir des mises à l’abri d’urgence et 57 000 euros ont été dépensés par les soutiens en nuitées d’hôtel”. Dans une lettre adressée jeudi 6 juillet à Olivier Klein, les élus de la majorité parisienne ont pointé du doigt le désengagement croissant de l’État et le refus de ses représentants de créer de nouvelles places d’hébergement, demandant au contraire “des moyens supplémentaires pour maintenir et développer nos capacités d’hébergement sur le territoire”.
“Depuis plusieurs semaines, nous ne pouvons que déplorer un durcissement de votre position et une volonté claire de ne plus répondre à des besoins qui ne cessent pourtant de croître. La baisse du budget dédié à l’hébergement à Paris reste, pour nous, incompréhensible et décorrélée des réalités”, estiment ainsi les adjoints à la maire de Paris, les maires de neuf arrondissements, et les présidents des groupes de la majorité (socialistes, écologistes, et communistes) au sein de l’assemblée parisienne. “Ce choix laisse Paris comme de nombreuses collectivités seules face à des catastrophes humaines. À titre d’exemple, plus de 1 000 personnes à la rue avec des enfants scolarisés nous ont été signalées en un an, une augmentation inédite.”
Photographies : École du Clos, Paris 20e
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