Rapprochement Belliard-Villani : l’étrange stratégie des écologistes parisiens

Le candidat centriste Cédric Villani n’a pas tardé à saisir la “main tendue” cette semaine par l’écologiste David Belliard, chef de file de son parti pour les municipales parisiennes de 2020. Même si cette nouvelle “coalition” venait à aboutir, serait-elle pour autant suffisante en vue de relancer deux prétendants à l’Hôtel de ville aujourd’hui en difficulté ?

Nouveau revirement notable dans une campagne parisienne décidément agitée, l’annonce d’un rapprochement entre les deux candidats reste encore à préciser sur bien des points, et pas des moindres. Leurs équipes respectives ont laissé entendre qu’un tel rassemblement n’aurait lieu qu’après le premier tour, laissant visiblement les électeurs seuls juges de la personnalité à même de conduire une hypothétique liste d’union.

Incertitude de taille dans l’hypothèse de cette “large coalition” proposée par le candidat Europe Écologie – Les Verts (EELV) “sur la base du projet écologiste” : quelles autres formations seraient également invitées à rejoindre une éventuelle majorité ? Belliard imagine une alliance progressiste calquée sur celle d’Anne Hidalgo, à laquelle s’ajouteraient quelques renforts de la France Insoumise de Danielle Simonnet. Villani n’a pour sa part aucune intention de former une majorité avec cette dernière – un rejet de toute évidence réciproque – mais n’hésiterait pas au contraire à lorgner plus à droite de l’échiquier politique.

Signe de l’emballement provoqué par la sortie (prématurée ou inattendue ?) de David Belliard, ses équipes de campagne n’ont depuis cessé de répéter qu’un tel accord ne pourrait se faire qu’en cas de véritable rupture du candidat centriste avec La République En Marche (LREM), un divorce qui ne semble pas encore à l’ordre du jour.

Si Yannick Jadot et d’autres élus écologistes se sont félicités de l’initiative du duo Belliard-Villani, les réactions semblent en moyenne bien plus nuancées en interne. La perspective d’une alliance avec le centriste divise fortement la direction comme les sympathisants d’EELV, dont la base militante est clairement marquée à gauche. Certains élus du parti n’ont pas hésité à rejeter la stratégie choisie par l’équipe de campagne parisienne, notamment le député européen Damien Carême :

D’après certains critiques, quel intérêt pour EELV de privilégier une alliance avec un dissident centriste à l’avenir politique bien incertain plutôt qu’avec la maire sortante et le reste de la gauche, avec qui les écologistes gouvernent depuis trois mandats ? Partenaires essentiels de la majorité d’Anne Hidalgo, ils ont vu nombre de leurs propositions retenues et appliquées par une équipe municipale plus verte que jamais. Les adjoints sortants Célia Blauel et Christophe Najdovski font d’ailleurs partie des quelques élus écologistes parisiens qui ont choisi de soutenir la maire actuelle en vue de sa réélection, et se sont vus “écartés” par leur parti en conséquence.

Aboutissement du projet de piétonisation des voies sur berges, développement sans précédent des pistes cyclables, végétalisation et réaménagement de la voirie parisienne au profit des modes de déplacement propres : la mandature de la maire sortante aura de toute évidence été marquée par des projets à forte empreinte écologique. Si l’esprit du projet municipal devait demeurer similaire, l’objectif de la nouvelle coalition proposée par David Belliard se limiterait donc à un changement de visage ?

Forts de leurs excellents résultats dans la capitale aux élections européennes de mai 2019 avec près de 20% des suffrages obtenus, les Verts parisiens semblent avoir sous-estimé la popularité d’Anne Hidalgo en tant que maire, au-delà de son étiquette socialiste initiale. Les derniers sondages en date lui donnent en effet une large avance sur ses prétendants – 22.5% des intentions, contre 14% pour le mathématicien et 12.5% pour le candidat écologiste.

Il est encore temps pour EELV de changer de cap dans la capitale, d’autant plus que la direction du parti incarnée par son nouveau secrétaire national Julien Bayou semble mal à l’aise avec le principe d’une alliance avec Villani, visiblement peu concertée. Difficulté additionnelle qui rend cette perspective plus qu’incertaine, la nécessité d’un vote des militants écologistes locaux pour valider une telle coalition. Là encore, il y a fort à parier que ces derniers lorgneraient plutôt du côté de l’équipe municipale sortante plutôt que de s’aventurer vers un projet aux contours bien flous à trois mois des élections.

Du côté du candidat LREM officiel Benjamin Griveaux, on a pris note de cette nouvelle rupture avec le parti présidentiel. L’ancien porte-parole du gouvernement s’est exprimé ce samedi dans une “lettre aux Marcheurs”, dénonçant le rapprochement entre Cédric Villani et David Belliard sans oublier de faire quelques clins d’œil supplémentaires aux électeurs de droite :

Griveaux estime ainsi que “quand on porte un projet d’alternance sincère à l’équipe municipale sortante, il ne peut pas y avoir d’accord de circonstance avec le principal allié de l’actuelle maire.” Le candidat LREM juge également que la ligne d’EELV est “trop souvent” celle d’une “écologie punitive et obscurantiste” – belle illustration de la divergence des avis sur le sujet au sein de la majorité présidentielle.

Du côté des centristes, les jeux d’alliance du candidat Villani et son barycentre un peu plus à gauche risquent de le priver définitivement des voix de la droite modérée et des nombreux “marcheurs” satisfaits par la ligne officielle du parti incarnée par Benjamin Griveaux. Désormais entouré de figures de la droite parisienne, telle que la maire du Vème arrondissement Florence Berthout, ce dernier tentera vraisemblablement de faire le plein d’électeurs conservateurs dès le premier tour.

À gauche où seront présentes les listes de la maire sortante Paris en Commun, des écologistes et de la France insoumise, le réservoir de voix apparaît déjà bien limité. Ne souhaitant pas particulièrement établir de passerelles avec un dissident LREM bis au programme encore abstrait malgré son “verdissement”, nombre d’électeurs initialement tentés par les écologistes risquent de revoir leur position dans l’isoloir, préférant reconduire une coalition de gauche certes imparfaite, mais plus prévisible.

Faute de nouveaux pas concrets – mais qui envisage sérieusement une fusion des listes à l’heure actuelle ? – le rapprochement Belliard-Villani risque finalement d’avoir l’effet contraire à celui escompté par les candidats, épuisant encore plus deux campagnes à la peine.

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