Née à Brest le 24 août 1826, Nathalie Le Mel rejoint la capitale au début des années 1860. Représentante syndicale, elle participe aux grèves des ateliers de reliure puis au lancement du restaurant ouvrier coopératif La Marmite. À l’heure de la Commune de 1871, elle est l’une des cofondatrices de l’Union des femmes pour la défense de Paris. Une placette du Haut-Marais lui rend aujourd’hui hommage.
Suscitant une certaine méfiance dans sa Bretagne natale en raison de ses opinions politiques progressistes et de sa grande indépendance, Nathalie Le Mel ne manque pas de combats à mener aux côtés des relieuses et relieurs parisiens, dont le futur élu de la Commune Eugène Varlin est alors l’une des principales figures. La militante adhère à l’Internationale en 1865 : créée à Londres un an plus tôt, l’organisation ambitionne de rassembler et coordonner les mouvements ouvriers des pays nouvellement industrialisés, comme l’Allemagne, la France, et le Royaume-Uni.
Entre 1868 et 1871, les sections locales de l’Internationale ont leur siège à deux pas de l’actuelle place Nathalie Le Mel (3e arrondissement), occupant le troisième étage d’un immeuble sans grand confort de la rue de la Corderie. Au nom du « Comité central républicain de défense des vingt arrondissements de Paris », Émile Leverdays, Gustave Tridon, Édouard Vaillant, et Jules Vallès y concevront la rédaction de l’affiche rouge placardée sur les murs de Paris en janvier 1871, réquisitoire contre l’action du gouvernement théoriquement chargé de la défense nationale. Son texte se concluait déjà sur cet appel : « Place au peuple ! Place à la Commune ! »
Des engagements pour les salaires des ouvrières au lancement d’une cuisine coopérative
Dans les années précédant l’insurrection, Nathalie Le Mel s’investit avec conviction dans les clubs parisiens, ces espaces de parole et d’échanges dans lesquels on peut constater la contestation populaire grandissante face à l’incompétence et la brutalité de l’empire. Un rapport de police de l’époque indique ainsi que la mère de trois enfants, séparée de son mari après leur arrivée dans la capitale, « s’occupe de politique et lit à haute voix les mauvais journaux ». Au sein des mouvements ouvriers du secteur de la reliure, associée à Eugène Varlin, elle lutte pour une égalité des salaires entre les femmes et les hommes dans la profession.
L’engagement de la militante est avant tout visible sur le terrain ; elle contribue ainsi au lancement du réseau de restaurants ouvriers La Marmite. D’après la spécialiste de la Commune Michèle Audin, « il s’agit d’une cuisine coopérative, créée après une coopérative d’achat, La Ménagère. On a payé une cotisation (minime), et on paie ce que l’on mange ». Ces adresses deviennent également des lieux de réunion importants pour l’opposition ouvrière au régime impérial, et permettent aussi aux mouvements syndicaux de préparer des actions communes contre les exploitations patronales.
« Pour que les femmes s’organisent dans les quartiers et les ateliers, et défendent la République et la justice sociale »
« Travailleurs ! Consommateurs ! Ne cherchons pas ailleurs que dans la liberté le moyen d’améliorer les conditions de notre existence. L’association libre, en multipliant nos forces, nous permet de nous affranchir de tous ces intermédiaires parasites dont nous voyons chaque jour les fortunes s’élever aux dépens de notre bourse et souvent de notre santé. Associons-nous donc, non seulement pour défendre notre salaire, mais encore, mais surtout, pour la défense de notre nourriture quotidienne » : ainsi débute l’appel pour la création de La Marmite daté de janvier 1868, et signé entre autres par Nathalie Le Mel.
Pour l’ouvrière relieuse, la révolution du printemps 1871 est l’occasion de mettre en pratique ses combats en faveur des plus précaires, et pour une plus grande égalité entre femmes et hommes. Elle se lie à Élisabeth Dmitrieff, internationaliste d’origine russe avec qui elle fondera le 11 avril l’Union des femmes pour la défense de Paris et les soins aux blessés, l’une des premières organisations d’inspiration féministe de l’histoire. Ses membres siègent dans l’ancienne mairie du 10e arrondissement – une plaque installée en 2012 évoque ses appels « pour que les femmes s’organisent dans les quartiers et les ateliers, et défendent la République et la justice sociale ».
Condamnée à l’exil en Nouvelle-Calédonie, aux côtés de Louise Michel
Arrivée à Paris le 28 mars en tant que représentante du conseil général de l’Internationale, à vingt ans seulement, Élisabeth Dmitrieff sera particulièrement active sur les barricades de la Semaine sanglante, notamment du côté des Batignolles et de Montmartre. Nathalie Le Mel est elle aussi présente dans les faubourgs du nord de Paris au crépuscule de la Commune : d’après le Maitron, dictionnaire biographique du mouvement ouvrier, elle se distingue alors « en soignant les blessés et en exhortant les fédérés à la résistance ». Exilée en Nouvelle-Calédonie après le soulèvement, elle partagera un temps la même cabane que Louise Michel au bagne où elles seront envoyées en 1873. Au moins 4 000 insurgés seront condamnés à une peine similaire dans l’isolement du Pacifique.
En seulement deux mois, la Commune sera néanmoins parvenue à proposer plusieurs avancées politiques et sociales jusque-là impensables pour les Parisiennes. Au-delà de la forte implication des femmes républicaines et révolutionnaires dans la vie de la cité, les nouveaux élus décideront ainsi de l’éducation laïque et gratuite pour les filles comme les garçons, du versement de pensions pour les veuves de fédérés mariées ou non, et même des prémices du divorce, accordant aux femmes souhaitant se séparer une pension alimentaire en vue de gagner leur indépendance. Peu avant de s’éteindre sous les exactions versaillaises, la Commune votera aussi l’égalité des salaires pour les institutrices et les instituteurs.
Une fin de vie dans la misère et une reconnaissance tardive
Figure marquante de l’insurrection, porte-parole des femmes du peuple ouvrier, Nathalie Le Mel sera graciée en 1879 et pourra ainsi regagner la métropole. De retour à Paris, elle rejoint pour un temps la rédaction de L’Intransigeant – avant le tournant réactionnaire du journal – puis de La Revue socialiste. Devenue aveugle, elle vit ses derniers jours dans la misère et disparaît à l’âge de 94 ans à l’hospice d’Ivry, le 8 mai 1921. Ses contributions à l’histoire révolutionnaire parisienne seront mises en lumière relativement tardivement, plusieurs études et ouvrages lui étant consacrés dans les années 2000.
La place Nathalie Le Mel a été inaugurée par la municipalité le 8 mars 2007, à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes. Cette charmante placette triangulaire aux terrasses ombragées est située au nord de la halle Carreau du Temple, non loin de la place de la République. À deux pas de là, clin d’œil à l’histoire, le parvis qui entoure la station de métro Temple vient quant à lui rendre hommage à Élisabeth Dmitrieff, camarade de luttes de l’ouvrière relieuse.
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Illustrations :
Portrait de Nathalie Le Mel © Collection particulière
Place Nathalie Le Mel, Paris 3e © Paris Lights Up

